La France sur le fil

Un budget tumultueux, mais pas de crise. Aussi dans cette édition : le paradoxe du 3-3-3 aux Etats Unis, et l'économie des pays de l'Europe centrale.

Ludonomics
6 min ⋅ 04/12/2024

Bonjour, et bienvenue dans Ludonomics, la newsletter sur ce qui fait bouger l’économie mondiale. Je suis Ludovic Subran, chef économiste de l’assureur Allianz. Je vous donne rendez-vous toutes les semaines dans votre boîte mail. Suivez-moi également sur X.


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En France, un budget tumultueux mais pas de crise

Les tensions sur le budget 2025 se sont intensifiées en France, et pourraient mener à la chute du gouvernement si une motion de censure est votée aujourd’hui.

Le RN s'est fermement opposé à plusieurs mesures clés que le parti estime nuisibles au pouvoir d’achat, notamment la désindexation des retraites sur l’inflation, l’augmentation de la taxe sur l’électricité et des cotisations sociales, ou encore la diminution des dépenses de santé.

En réponse, le gouvernement a fait des concessions : il a renoncé à l'augmentation de la taxe sur l'électricité (la remplaçant par une hausse de la taxe sur le gaz), a partiellement adouci les réductions dans le secteur de la santé et a allégé les hausses des cotisations sociales. Cependant, il a maintenu sa position sur les ajustements des retraites.

Malgré ces concessions, le gouvernement a invoqué l'article 49.3 de la Constitution pour faire passer la composante Sécurité sociale du budget (PLFSS) sans vote parlementaire. En représailles, la dirigeante du RN, Marine Le Pen, a annoncé l'intention de son parti de soutenir une motion de censure, augmentant ainsi la probabilité de chute du gouvernement Barnier d'ici mercredi.

Si le gouvernement est renversé, il devra démissionner et le budget 2025 sera rejeté. Le président Macron devra alors nommer un nouveau Premier ministre, pendant que Barnier assurera l'intérim. Face à l'impasse politique actuelle, Macron pourrait maintenir le gouvernement actuel jusqu'à la fin de l'année ou nommer un gouvernement technocratique.

Pour garantir un budget opérationnel d'ici le 1er janvier, des mesures d'urgence sous l'article 47 de la Constitution pourraient être utilisées, telles que l'extension de certaines parties du budget 2024 ou la mise en œuvre du budget 2025 par ordonnances. Une démission de Macron, entraînant une élection présidentielle, reste une possibilité, bien que peu probable.

Pour le budget 2025 et la croissance, deux options se dessinent :

  • Option 1 (50% de probabilité) : Un budget allégé est adopté par ordonnances. Les concessions de Barnier impliquent un ajustement budgétaire plus doux sans augmentation des taxes sur l'électricité et avec une indexation partielle des pensions sur l'inflation et une hausse moindre des cotisations sociales. Cela pourrait réduire l’ajustement budgétaire de 0,3 % du PIB par rapport au projet initial. La croissance du PIB pour 2025 pourrait baisser à 0,7 % en raison des effets d’incertitude, avec un déficit s’établissant à 5,8 % du PIB.

  • Option 2 (45% de probabilité) : Reconduction du budget 2024. Les dépenses de sécurité sociale augmenteraient avec l'inflation. En théorie, les dépenses du gouvernement central et les transferts aux collectivités locales seraient gelés, une situation trop coûteuse politiquement pour les partis. Le Parlement pourrait alors autoriser des augmentations de dépenses en ligne avec l’inflation, menant à un ajustement budgétaire d’une magnitude similaire à l’option 1. L’incertitude politique et les effets négatifs de la limitation des dépenses publiques pourraient néanmoins faire tomber la croissance à 0,5 %, avec un déficit autour de 6 % du PIB.

Sur les marchés financiers, une motion de censure entraînerait des turbulences sérieuses, avec un élargissement des spreads des obligations d’Etat françaises, reflétant la forte incertitude politique. La semaine dernière, à la suite des menaces de motion de censure de Marine Le Pen, le spread s’est agrandi de 90 points de base, une première depuis 2012. Une incertitude politique accrue pourrait ajouter 10 à 20 points de base à ce spread.

Les marchés anticipent déjà des dégradations de la note de crédit de la France, ce qui pourrait aggraver la situation si une solution budgétaire n'est pas trouvée. Cependant, les spreads français n'ont pas eu d'effet de contagion significatif sur d'autres pays de la zone euro ni sur l’Euro, ce risque reste donc domestique.

Les marchés d'actions français sont particulièrement sous pression, tandis que le marché des obligations d'entreprise reste résilient, soutenu par une demande stable et des rendements attractifs.

Les grandes entreprises françaises, moins dépendantes du marché intérieur, pourraient être relativement épargnées par l'incertitude politique du pays.


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Souveraineté alimentaire, Mercosur, politique agricole commune, changement climatique. Les sujets ne manquent pas pour les filières agricoles. 

Le site Agriculture Circulaire entend laisser la parole aux agriculteurs, éleveurs, géographes, sociologues, historiens qui font et pensent l’agriculture de demain en plaçant l’élevage herbager au cœur de la réflexion.  

Dans le dernier article disponible sur le site Agriculture Circulaire, Jean-Claude Duclos et Patrick Fabre reviennent sur le passé et le futur de la transhumance, pratique millénaire inscrite au patrimoine immatériel de l’Unesco. 

A lire ici.


ICYMI

Etats-Unis : le paradoxe du “3-3-3” de Scott Bessent

Le plan économique “3-3-3” proposé par Scott Bessent, candidat de Trump pour le poste de secrétaire au Trésor, vise à stimuler la croissance du PIB à 3 %, réduire le déficit budgétaire à 3 % du PIB et augmenter la production de pétrole de 3 millions de barils par jour.

Cependant, la mise en œuvre de politiques d'immigration strictes et l’effet négatif d’une réduction du déficit sur la demande agrégée rendent ces objectifs difficiles à atteindre.

Bien que la croissance de 3 % soit envisageable, elle reposerait sur un déficit budgétaire important pour soutenir la demande et sur des flux migratoires soutenus, qui favoriseraient la croissance de l'emploi. La réduction drastique de l'immigration et la déportation de travailleurs sans papiers pourraient donc limiter sévèrement la croissance du PIB, particulièrement dans un contexte de ralentissement de la croissance de la population en âge de travailler.

Par ailleurs, le plan de réduction du déficit à 3 % du PIB nécessiterait une consolidation budgétaire structurelle, pesant potentiellement sur la demande et la croissance. Bessent propose de stimuler la croissance par la déréglementation et les réductions d'impôts, espérant que ces dernières se financeront par elles-mêmes en stimulant le PIB, bien que les études empiriques montrent rarement un tel résultat.

Si la croissance américaine s’établit à 3%, alors pour atteindre un déficit de 3 % du PIB, le gouvernement devrait réduire les dépenses de près de 3 % par an en termes réels, un exploit rare. Même avec une baisse des taux d'intérêt à 2,5 %, des coupes substantielles dans les dépenses (environ 2% par an en termes réels) seraient nécessaires.

Le Département de l'efficacité gouvernementale, dirigé par Elon Musk et Vivek Ramaswamy, vise à réduire les dépenses fédérales non autorisées par le Congrès, mais il sera difficile de réaliser des économies significatives sans toucher aux dépenses sociales, qui représentent une grande partie des dépenses fédérales. De manière réaliste, pour atteindre un déficit de 3%, les États-Unis devraient combiner des économies substantielles sur les dépenses sociales et des hausses d'impôts.

Enfin, bien que les États-Unis soient déjà le plus grand producteur mondial de pétrole, une augmentation de la production se heurte à différentes contraintes clés, telles que l’épuisement des ressources ou la nécessité d’afflux de capitaux.

Cette dernière contrainte semble particulièrement prégnante dans un contexte de prix bas et en l’absence d’incitatifs pour les producteurs, car ces derniers iraient à l’encontre de l’objectif initial d’abaisser les prix de l’énergie. De plus, la production américaine fait face à un manque substantiel de main d’œuvre et une forte demande de travailleurs qualifiés.

En revanche, la production de GNL devrait augmenter, mais cela n'entraînera pas directement une baisse des prix de l'énergie ni une forte croissance à court terme.

Sur le plan financier, le plan “3-3-3” pourrait renforcer le dollar et réduire l'émission d'obligations gouvernementales en abaissant les rendements à long terme. Une augmentation de la production de pétrole pourrait réduire le déficit du compte courant américain, mais les autres implications ne sont pas évidentes.

En effet, la baisse des prix du pétrole pourrait réduire l'inflation et inciter la Fed à assouplir sa politique monétaire, mais pourrait aussi jouer comme un choc d’offre positif, associé à une hausse des taux réels qui contrebalanceraient les plus faibles anticipations d’inflation. Une croissance économique forte favoriserait les marchés boursiers et d'entreprises, mais des coupes budgétaires pourraient freiner la croissance dans certains secteurs.

Europe centrale : l’affaiblissement de la compétitivité met en péril les ambitions commerciales de la région

Les pays d'Europe centrale et orientale ont longtemps été des centres privilégiés pour les stratégies d'externalisation en Europe, en particulier dans les secteurs manufacturiers comme l'automobile. Cependant, la hausse des salaires, provoquée par des marchés du travail tendus et les effets de l'inflation de 2022-2023, menace cette compétitivité.

En 2024, les salaires réels ont connu une forte augmentation, avec des hausses significatives au deuxième trimestre en Bulgarie (+15 % en glissement annuel), en Pologne (+12 %), ainsi qu'en Hongrie et en Roumanie (+10 %).

Malgré une baisse de l'inflation à 3,8 % au troisième trimestre 2024, la croissance des salaires réels reste élevée à 10,5 %, en grande partie à cause d'un faible taux de chômage et de politiques gouvernementales visant à augmenter le salaire minimum.

Cette augmentation des coûts salariaux n'est pas compensée par des gains de productivité, qui ont chuté de 48 % depuis la pandémie. Par exemple, la croissance de la productivité du travail a diminué de 77 % en Pologne, et celle de la Roumanie s’est contractée deux fois plus que dans la zone euro.

Ce décalage entre salaires et productivité a entraîné une augmentation des coûts unitaires du travail, atteignant au deuxième trimestre 2024 leur plus forte croissance annuelle depuis 2010 (+9,2 %).

Malgré ces défis, la région continue d'attirer des investissements directs à l’étranger (IDE). En Bulgarie, les IDE dans le secteur manufacturier ont triplé entre 2019 et 2024, positionnant le pays comme un pôle d'investissement majeur dans la région. En revanche, les IDE dans le secteur manufacturier polonais ont diminué, tandis que ceux dans le secteur des services ont bondi de 250 %.

Les investissements en provenance de la zone euro restent majoritaires, bien que leur part ait diminué en Bulgarie et en Pologne. En Hongrie, leur part a augmenté, mais le pays a également vu une hausse significative des investissements en provenance de la Chine.

La compétitivité en termes de coûts salariaux a sensiblement diminué dans la région, notamment en Bulgarie et en Roumanie, mais pourrait s'améliorer avec la stabilisation de la croissance des salaires et la baisse de l'inflation. Les prévisions de croissance du PIB pour 2025-2026 sont positives, avec des augmentations attendues pour la Pologne, la Roumanie, la Hongrie et la Bulgarie.


Merci à Philippine Renaudie pour son aide dans la préparation de cette édition. On vous retrouve la semaine prochaine.

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Par Ludovic Subran

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