Bonjour, et bienvenue dans Ludonomics, la newsletter sur ce qui fait bouger l’économie mondiale. Je suis Ludovic Subran, chef économiste de l’assureur Allianz. Je vous donne rendez-vous toutes les semaines dans votre boîte mail. Suivez-moi également sur X.
L'énergie nucléaire et la course vers le “net zero”
L'énergie nucléaire connaît actuellement un regain de dynamisme, plusieurs pays s’étant engagés à construire de nouvelles centrales pour augmenter leur capacité.
Actuellement, 32 pays utilisent l'énergie nucléaire, mais seules quatre – la France, la Slovaquie, l'Ukraine et la Belgique – en dépendent comme principale source d'énergie. D'autres, comme l'Allemagne, s'en sont éloignés. Des nations majeures comme la Corée du Sud, la France, la Chine, le Japon et la Russie construisent ou planifient plus de 65 GW de nouvelle capacité, tandis que la Turquie, l'Égypte et le Bangladesh comptent ajouter 11 GW de nucléaire. La Biélorussie, les Émirats Arabes Unis et le Pakistan ont également augmenté la part de l'énergie nucléaire dans leur mix électrique.
Ce regain de dynamisme devrait se poursuivre : certaines estimations suggèrent que la production d'énergie nucléaire pourrait plus que doubler d'ici 2050. Cependant, la part du nucléaire dans la production mondiale d'électricité ne devrait pas dépasser 10 %, en raison de l'expansion rapide des sources d'énergie renouvelable.
De fait, la majeure partie des constructions actuelles et planifiées de centrales nucléaires est concentrée dans trois pays : la Russie, le Japon et la Chine. Les centrales nucléaires existantes, ayant en moyenne 32 ans, nécessiteront bientôt des investissements pour prolonger leur durée de vie, ce qui pourrait ralentir le rythme des nouvelles constructions.
L'énergie nucléaire est une technologie bien établie offrant une énergie fiable et à faible teneur en carbone. Sur sa durée de vie, elle s'avère plus rentable que de nombreuses sources d'énergie traditionnelles grâce à ses coûts d'exploitation plus bas. Elle peut même rivaliser avec le solaire et l'éolien en termes de coût.
Un avantage supplémentaire est sa capacité à fournir une production stable, caractéristique essentielle pour les industries à forte intensité énergétique comme le ciment, l'acier et l'IA, qui ne peuvent pas facilement adapter leur consommation aux fluctuations des énergies renouvelables.
Le développement des petits réacteurs modulaires (SMR) présente un véritable potentiel pour augmenter la production d'énergie nucléaire, en ce qu’ils offrent une meilleure flexibilité et des exigences en capital initial plus faibles. Cependant, la commercialisation des SMR rencontre des obstacles, notamment des coûts élevés.
La technologie nucléaire présente néanmoins des limites, telles que de longs délais de construction, la question de la gestion des déchets et des risques de concentration géopolitique. En effet, la chaîne d'approvisionnement nucléaire est fortement concentrée parmi quelques entreprises publiques, ce qui peut catalyser des tensions géopolitiques.
En fin de compte, l'énergie nucléaire peut aider à accélérer la transition hors du charbon et du gaz, mais le financement des énergies renouvelables, de l'expansion des réseaux et des technologies de stockage restera crucial pour garantir une transition durable et rentable vers zéro émission nette.
ICYMI
COP16 à Cali : de l’accord à l’action
À la suite de l'adoption historique du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal, la COP16 à Cali, en Colombie, doit relever le défi d'unir biodiversité, climat et économie.
Seuls 35 pays ont soumis leurs Stratégies et Plans d'Action Nationaux pour la Biodiversité (SPANB), un chiffre bien en deçà des attentes. Le Brésil, le Pérou et la Colombie, qui détiennent la majorité de la forêt amazonienne, n'ont pas encore soumis de plan.
Les écosystèmes jouent un rôle crucial dans la régulation du cycle du carbone, mais leur dégradation libère du carbone et tend à aggraver le réchauffement climatique. Si la déforestation se poursuit à son rythme actuel, la capacité des écosystèmes à séquestrer le carbone sera sensiblement compromise.
Les zones humides, par exemple, possèdent le stock de carbone le plus élevé et sont cruciales pour le stockage à long terme grâce à leur capacité à accumuler de la matière organique dans les sols gorgés d'eau. Cependant, les taux de séquestration varient, les forêts ayant le taux le plus élevé. Restaurer ces écosystèmes pourrait donc significativement contribuer à l’atténuation du changement climatique.
La restauration de la biodiversité offre également des opportunités économiques intéressantes : elle pourrait générer jusqu'à 20 millions de nouveaux emplois dans le monde d'ici 2030. Les services écosystémiques (avantages procurés par les écosystèmes aux humains) soutiennent divers secteurs économiques, notamment par le contrôle des inondations, la régulation des flux d'eau et l'atténuation des tempêtes.
La perte de biodiversité pose donc un risque économique majeur, car de nombreux secteurs dépendent des systèmes naturels pour fonctionner efficacement. Investir dans des solutions fondées sur la nature pourrait ainsi revitaliser les marchés du travail et stimuler la productivité.
Prendre en compte la valeur monétaire des services écosystémiques dans les décisions économiques pourrait aider à promouvoir des solutions durables et à réorienter les investissements vers l'économie verte et bleue.
Les marchés du travail dans la zone euro
Le marché du travail de la zone euro semble en bonne forme, du moins à première vue. Malgré l'absence de forte croissance depuis fin 2022, il est resté résilient et tendu, aidé par les dispositifs de maintien de l'emploi et les transitions vers l'inactivité pendant la pandémie.
Le chômage a atteint des niveaux historiquement bas (6,4 %), tandis que l'emploi a augmenté de 4,5 % par rapport à fin 2019. La réouverture post-pandémie a poussé les entreprises à accumuler de la main-d'œuvre, anticipant un environnement économique favorable et une reprise de la demande.
Cette stratégie a été facilitée par le fait que les coûts réels de la main-d'œuvre n'ont pas encore rattrapé l'inflation, ce qui permet aux entreprises de maintenir une main-d'œuvre plus importante sans pression financière immédiate.
Cependant, cette accumulation de main-d'œuvre a eu un effet mitigé sur le pouvoir de négociation des travailleurs. Les travailleurs tendent à gagner plus de pouvoir de négociation pendant les périodes d'expansion avec de fortes attentes économiques, ce qui n'est pas nécessairement la condition actuelle du marché.
En effet, les entreprises retiennent actuellement une main d’œuvre excédentaire, ce qui réduit le pouvoir de négociation des salariés. Mais on observe des signes précoces d'un renversement de tendance sur les marchés du travail : les taux de vacance commencent à diminuer par rapport aux niveaux records post-pandémie, bien qu’ils restent au-dessus des niveaux de 2019.
En outre, les intentions d'embauche diminuent, notamment en France et en Allemagne, où les perspectives économiques sont plus pessimistes. L'accumulation de main-d'œuvre pourrait devenir moins attrayante à l'avenir, mais une augmentation de la rotation de main d’œuvre pourrait stimuler la productivité. Investir dans l'IA générative pourrait aussi revitaliser les marchés du travail en augmentant la productivité et en réduisant les écarts de compétences.
Au global, nous prévoyons un ralentissement de la rétention de la main-d'œuvre dans la zone euro : l’incertitude économique, la normalisation des bénéfices des entreprises et la croissance soutenue des salaires vont inciter les entreprises à reconsidérer l’efficacité de leurs coûts.
Toutefois, les secteurs qui exigent des compétences hautement spécialisées, tels que la technologie, ou l'industrie - où même l'IA générative ne peut pas réduire le déficit de compétences - continueront à accumuler des employés.
Merci à Philippine Renaudie pour la préparation de cette édition. On vous retrouve la semaine prochaine.