Que faut-il attendre sur le plan des tarifs douaniers
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Début mars, l'administration Trump a pris les marchés à contre-pied en annonçant des tarifs douaniers de 25 % sur les importations en provenance du Canada et du Mexique, une mesure bien plus sévère que les 10 % initialement anticipés.
En réponse, le Canada a immédiatement mis en place des mesures de rétorsion d'ampleur équivalente. Le Mexique, affichant une prudence plus marquée, a préféré temporiser avant de réagir. Finalement, un compromis a été trouvé le 3 mars : les mesures tarifaires américaines sont suspendues pour une durée de 30 jours, afin de permettre l'ouverture de négociations.
En contrepartie, le Canada et le Mexique se sont engagés à renforcer leur coopération en matière de contrôle frontalier, en particulier sur les questions liées à l'immigration illégale et au trafic de stupéfiants. Cette entente offre à Donald Trump l'opportunité de revendiquer une victoire politique rapide et de rassurer sa base électorale.
Concernant la Chine, de nouveaux tarifs de 10 % sont entrés en vigueur le 4 février, malgré certains signaux d'ouverture à des pourparlers. Ces mesures portent les droits de douane moyens sur les importations chinoises à 23,4 %.
La réaction de la Chine a été mesurée et ciblée : des taxes de 10 % à 15 % ont été imposées sur 20 milliards de dollars d'exportations américaines, visant principalement les minéraux et combustibles, les machines agricoles et certains modèles automobiles.
Ce montant reste toutefois nettement inférieur aux 450 milliards de dollars d'importations chinoises concernées par les mesures américaines. La Chine a stratégiquement choisi de ne pas taxer des secteurs sensibles tels que les semi-conducteurs, l'aérospatial et les produits pharmaceutiques, conservant ainsi une marge de manœuvre dans les négociations.
Si ces tarifs étaient pleinement appliqués, le taux effectif des droits de douane américains grimperait de 2,5 % à 11 %, atteignant un niveau inégalé depuis les années 1940. L'impact sur la croissance chinoise resterait modéré (une diminution de 0,1 point de pourcentage en 2025 et de 0,3 point en 2026), mais les économies canadienne et mexicaine seraient bien plus durement affectées, avec un risque de récession à la clé. Par ailleurs, l'inflation connaîtrait une accélération notable : +0,4 point aux États-Unis et au Mexique, et +0,9 point au Canada.
Après s'être attaqué au Canada et au Mexique, Donald Trump pourrait envisager d'imposer des tarifs douaniers à l'UE. En 2023, le déficit commercial américain avec l'UE a atteint 220 milliards de dollars, l'Allemagne représentant à elle seule 39 % de ce déséquilibre. Les principales importations américaines en provenance de l'UE concernent les produits chimiques et pharmaceutiques, les machines, les produits minéraux et l'aérospatial.
Une guerre commerciale à grande échelle reste peu probable, compte tenu des conséquences économiques potentiellement désastreuses pour les deux parties. L'application réciproque de tarifs de 25 % amputerait la croissance de la zone euro de 1,0 point et celle des États-Unis de 0,8 point sur un an, tout en alimentant une spirale inflationniste.
Dans l'éventualité de l'instauration de tels tarifs, l'UE pourrait riposter par des mesures de rétorsion, notamment dans les secteurs de l'aérospatial et des produits pharmaceutiques, mais privilégierait sans doute une approche axée sur la négociation.
Son principal atout dans ce contexte serait d'accroître ses achats d'énergie et de matériel de défense américains, ou d'augmenter ses dépenses militaires afin de réduire la contribution financière américaine à l'OTAN.
Le scénario le plus probable demeure une augmentation modérée des tarifs américains, les portant à environ 5 % (contre 2,2 % actuellement), avec un risque de voir apparaître des tarifs universels de 10 % en cas d'escalade des tensions.
L'instauration de tarifs universels de 10 % pourrait compromettre près de 1 000 milliards de dollars d'exportations, soit 30 % des importations américaines. Le Vietnam, Taïwan, la Thaïlande et l'Indonésie, en raison de leur rôle essentiel dans les chaînes d'approvisionnement mondiales, seraient particulièrement exposés.
Certains pays prennent des mesures préventives pour se prémunir contre cette menace. L'Inde, par exemple, a récemment abaissé ses droits d'importation sur certains produits américains, notamment les motos de luxe, avec une réduction de 20 points de pourcentage, contre les 5 points initialement envisagés.
L'Asie du Sud-Est pourrait également tirer parti des sanctions imposées à la Chine. La reconfiguration des chaînes d'approvisionnement pourrait permettre à ces économies de gagner en compétitivité, en particulier dans les secteurs de l'électronique et de l'automobile.
D'autres marchés émergents risquent d'être plus lourdement frappés. En 2025, les exportateurs africains de matières premières (tels que l'Angola, le Cameroun et l'Égypte) devront consacrer plus de 3 % de leur PIB au remboursement de leur dette, ce qui accentuera leur vulnérabilité.
La pression inflationniste aux États-Unis, exacerbée par ces tarifs, pourrait inciter la Réserve fédérale américaine (Fed) à maintenir des taux d'intérêt élevés, ce qui renforcerait le dollar et compliquerait le remboursement de la dette libellée en USD.
Enfin, la suspension des aides de l'USAID et un resserrement budgétaire américain pourraient fragiliser des régions comme l'Afrique de l'Est, précipitant ainsi le déclin de l'influence des États-Unis au profit d'autres puissances.
Merci à Perrine Levin pour son aide dans la préparation de cette édition. On vous retrouve la semaine prochaine.