L’escalade Israël-Iran secoue les marchés pétroliers

Ludonomics
4 min ⋅ 26/06/2025

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L’escalade Israël-Iran secoue les marchés pétroliers et ravive les risques de stagflation

La semaine dernière, les tensions entre Israël et l’Iran ont fortement augmenté, provoquant une vive réaction des marchés mondiaux de l’énergie.

Le prix du pétrole Brent a bondi d’environ 20 % depuis début juin, reflétant une prime de risque géopolitique accrue alors que les acteurs craignent des perturbations dans les flux pétroliers du Moyen-Orient.

Bien qu’un conflit localisé entre ces deux pays aurait un impact limité sur la production pétrolière mondiale — l’Iran ne représentant que 5 % de l’offre mondiale, en plus d’être soumis à des sanctions limitant ses exportations — le risque d’une extension régionale est réel.

  • L’Iran pourrait menacer la navigation dans le Golfe Persique, notamment le détroit d’Ormuz, ou inciter ses alliés à attaquer les infrastructures pétrolières des pays voisins du Golfe.

  • Le détroit d’Ormuz revêt une importance stratégique majeure : près de 20 % du pétrole et du gaz naturel liquéfié (GNL) mondial transitent par ce passage.

  • Un blocage prolongé entraînerait des conséquences directes sur l’approvisionnement en pétrole et GNL, affectant des régions clés telles que l’Asie et l’Europe.

Les tensions actuelles ravivent les souvenirs des grandes crises pétrolières du passé. En 1973, l’embargo pétrolier arabe avait réduit l’offre mondiale de 5 à 10 %, faisant doubler les prix en quelques mois.

  • La révolution iranienne de 1979 et la guerre du Golfe en 1990 avaient aussi provoqué des chocs majeurs, avec des prix du pétrole doublant en moins de trois mois.

  • Un choc similaire aujourd’hui pourrait faire grimper le Brent au-delà des 100 dollars le baril.

Cependant, il est estimé que la hausse probable des prix sera modérée et durable, reflétant une prime de risque sans bouleverser les fondamentaux économiques. L’impact sur la croissance américaine et européenne serait limité, avec une réduction inférieure à 0,1 point de pourcentage, et ne remettrait pas en cause les scénarios macroéconomiques actuels.

Une hausse prolongée des prix de l’énergie agit comme un choc d’offre, alimentant l’inflation tout en freinant la croissance, ce qui augmente le risque de stagflation. Néanmoins, cet effet est atténué aujourd’hui par une meilleure efficacité énergétique et une moindre dépendance du PIB au pétrole, comparé aux années 1970.

Sur les marchés financiers, la réaction a été prudente.

  • Le 13 juin, le S&P 500 a reculé de 1,1 %, les actions européennes ont légèrement baissé, tandis que les places du Golfe ont enregistré des replis plus marqués (–5 % à Dubaï, –3,5 % à Abou Dhabi).

  • Ces mouvements ont profité aux valeurs refuges, notamment les obligations souveraines et le franc suisse.

  • À partir du 16 juin, l’espoir d’une désescalade a permis un retour progressif à la normale.

L’issue du conflit reste incertaine. Le scénario de base (55 % de probabilité) prévoit une confrontation militaire limitée, sans attaque des infrastructures énergétiques ni implication d’autres puissances. Un scénario plus pessimiste (30 %) anticipe un conflit élargi, incluant des attaques sur les infrastructures, la participation d’acteurs extérieurs et la fermeture du détroit d’Ormuz.

Enfin, les conséquences économiques régionales sont déjà visibles. En Israël, la normalisation amorcée depuis octobre 2023 est freinée, les grèves perturbent l’activité économique, et les dépenses militaires augmentent. La dette publique, initialement attendue en baisse pour 2025, devrait repartir à la hausse, ce qui pourrait fragiliser la notation de crédit du pays.


ICYMI

Le flou de la guerre commerciale : analyse des premiers signes

Depuis janvier 2025, les politiques commerciales américaines ont entraîné une forte hausse des droits de douane, avec un taux effectif moyen passant de 2,5 % en mars à 8 % en mai. Cependant, ce niveau reste inférieur au taux théorique de 13 %, calculé à partir des hausses annoncées par l’administration Trump.

Les effets directs sur les flux commerciaux sont encore limités, mais les importateurs américains subissent déjà une hausse des coûts et une pression sur leurs marges. L’indice des prix des intrants manufacturiers est passé de 56 en 2024 à 66 en mars 2025, son taux le plus haut depuis août 2022, tandis que les prix de sortie n’ont augmenté que modérément, traduisant une baisse de rentabilité.

  • Ce décalage s’explique en partie par un « frontloading » : les entreprises anticipent les hausses tarifaires en augmentant leurs importations avant leur application. Ainsi, les importations américaines du premier trimestre 2025 ont dépassé de 14 % leur tendance 2020-2024.

  • Parallèlement, la Chine réoriente ses exportations vers l’ASEAN, l’Inde et l’Amérique latine, compensant la chute de ses exportations directes vers les États-Unis (-21 % en avril, -35 % en mai 2025).

  • Les exportations de pays comme le Vietnam, Taïwan ou le Brésil vers les États-Unis augmentent aussi, reflétant des chaînes d’approvisionnement alternatives.

Cette dynamique entraîne un creusement du déficit commercial américain avec l’ASEAN et l’Amérique latine, tandis que la part des importations chinoises aux États-Unis a chuté de 22 % en 2017 à 9 % en 2025. Le Mexique est devenu le premier partenaire commercial américain.

On estime que les réorientations vers l’Inde et l’ASEAN compensent environ 40 % de la baisse des exportations chinoises vers les États-Unis, atténuant l’impact de la guerre commerciale sur les flux commerciaux directs.

Politiques monétaires sur mesure : les marchés émergents dessinent leurs propres parcours d’assouplissement

Plus de 30 grandes économies émergentes, représentant plus d’un tiers du PIB mondial, devraient assouplir leur politique monétaire, surtout au second semestre 2025. Grâce à une inflation plus faible que prévu et à une appréciation moyenne de leur devise de 4,1 % depuis début 2025, ces banques centrales sont bien positionnées pour poursuivre leurs cycles d’assouplissement.

Le Mexique, le Chili et la Hongrie mènent la tendance, ayant dû relever leurs taux au-dessus de 10 % en 2023-2024 face à une inflation élevée.

  • En Hongrie, le taux reste supérieur au taux neutre, avec un assouplissement attendu au printemps 2026.

  • Le Mexique prévoit une baisse prudente de 200 points de base d’ici fin 2026.

  • En Argentine, la politique économique a stabilisé l’inflation plus vite que prévu, mais les réformes restent incertaines.

En Turquie, malgré une légère baisse des taux, l’inflation reste élevée, poussée par les coûts salariaux et les tensions sur la monnaie. La politique monétaire reste donc prudente pour éviter une volatilité excessive.

La Pologne et la Roumanie, freinées par des pressions inflationnistes et des incertitudes politiques, sont désormais prêtes à accélérer leurs baisses de taux.

  • La Pologne voit son inflation dépasser 4 % en 2025 avant un retour à la cible en 2026, tandis que la Roumanie maintient ses taux stables en raison d’une inflation encore élevée.

D’autres pays, comme la République tchèque et le Kenya, ont ralenti leurs assouplissements face à une inflation remontante.

Enfin, certains marchés émergents comme l’Afrique du Sud, la Thaïlande, Taïwan, la Malaisie et la Chine restent plus prudents, avec des réductions de taux limitées, notamment en raison d’une inflation faible ou contenue.

Globalement, ces assouplissements soutiennent la demande intérieure et les marchés émergents, avec une amélioration progressive des flux de capitaux, portée par un dollar plus faible et des valorisations attractives.


Merci à Perrine Levin pour son aide dans la préparation de cette édition. On vous retrouve la semaine prochaine

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Par Ludovic Subran