Est-ce que c'est l'heure de la bulle de l'IA ?

Ludonomics
5 min ⋅ 01/12/2025

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Est-ce que c'est l'heure de la bulle de l'IA ?

Une euphorie des marchés autour de l’IA ressemble de plus en plus à une bulle d’actifs, située à un stade avancé du cycle boursier (proche de « 9 heures » sur l’horloge de Minsky).

  • Trois critères typiques sont réunis : une ruée vers un nouvel actif difficile à valoriser, un consensus très large sur son potentiel, et une déconnexion entre rendements boursiers et bénéfices actuels.

  • Les valorisations intègrent déjà des scénarios très optimistes sur plusieurs années, ce qui rend les cours vulnérables au moindre ralentissement des résultats.

Les signaux de fin de cycle se multiplient, sans permettre de dater précisément une correction.

  • Les avertissements d’institutions (FMI, banques centrales) et les comparaisons avec la bulle internet sont largement ignorés par le marché.

  • Certains signes indiquent un passage progressif en mode plus prudent par une hausse récente du VIX (Volatility Index, se référant au marché boursier américain) et une pression sur les valeurs technologiques aux valorisations les plus élevées.

Côté marché, l’alerte principale vient de la concentration des performances et d’un changement de régime sur le crédit tech.

  • Les gains se concentrent sur un nombre réduit de valeurs, avec une largeur de marché en baisse, évoquant des épisodes de bulle passés.

  • Les spreads de crédit investment grade des entreprises tech se rapprochent de ceux du marché, signe que la tech perd une partie de son statut « défensif ».

Les attentes sur les bénéfices liés à l’IA montent très vite, ce qui augmente le risque d’un choc de déception.

  • Les révisions de bénéfices pour les segments IA (hyperscalers, semi-conducteurs, data centers, logiciels, énergie) sont nettement plus positives que pour le marché global.

  • Les anticipations élevées imposent une succession de “surprises positives” pour justifier les cours actuels.

  • Une dispersion croissante des prévisions d’analystes apparaît comme un signal précoce d’incertitude sous-jacente.

Le message final distingue la valeur de la technologie de la fragilité des valorisations.

  • Parler de bulle potentielle ne revient pas à nier l’impact réel de l’IA sur la santé, la finance ou la productivité.

  • Le risque central est que les marchés aient “pricé” des décennies de croissance en peu de temps, rendant les cours très sensibles à toute adoption plus lente ou à des rendements inférieurs aux promesses.

  • L’IA peut transformer l’économie, mais les marchés, eux, peuvent corriger brutalement et de manière non linéaire.


ICYMI

Japon : un plan de relance coûteux et la réaction des marchés mettent à l’épreuve la BoJ.

Le budget supplémentaire 2025 du Japon atteint 21,3 trillions de Yens (3,3 % du PIB), avec une forte hausse des dépenses directes.

  • Les dépenses directes totalisent 17,7 trillions de Yens (2,8 % du PIB), soit +4 trillions par rapport à l’an dernier.

  • Le paquet aggrave le déficit budgétaire, mais ne devrait pas empêcher le ratio dette/PIB de continuer à baisser à moyen terme.

Le plan est structuré autour de trois piliers, dominés par des mesures de soutien au pouvoir d’achat.

  • Le 1er pilier vise le coût de la vie : subventions aux ménages (électricité/gaz, aides aux enfants, coupons alimentaires), hausses de salaires dans la santé, et baisses additionnelles sur l’essence et l’impôt sur le revenu.

  • Le 2ème pilier finance des investissements de long terme liés à la sécurité économique : construction navale, minerais critiques, semi-conducteurs, IA et sécurisation des chaînes d’approvisionnement.

  • Le 3ème pilier accélère l’effort de défense en avançant l’objectif de dépenses à 2 % du PIB de l’exercice 2027 à l’exercice 2025.

Le stimulus creuse le déficit, soutient la croissance et ne réduit l’inflation que temporairement.

  • L’impulsion budgétaire creuserait le déficit à court terme (environ +1 point de PIB en FY2025 et FY2026) et augmenterait la dette (jusqu’à +3 points de dette/PIB d’ici 2027), sans pour autant déclencher une crise de soutenabilité, la trajectoire restant jugée gérable. 

  • Côté conjoncture, le stimulus soutiendrait la croissance (+0,7 point sur le PIB 2026) mais ne résoudrait pas l’inflation sous-jacente. L’inflation totale reculerait en moyenne de -0,4 point, tandis que la core resterait élevée.

  • Enfin, les baisses de taxes et subventions énergétiques pèseraient surtout temporairement sur l’inflation headline, pouvant ramener l’inflation totale sous 2 % début 2026, sans vraie détente de la core.

La Banque du Japon reste sous pression. L’impulsion budgétaire soutient la demande et complique la normalisation monétaire.

  • Malgré l’effet désinflationniste headline de court terme, la relance est vue comme plutôt inflationniste via la demande des ménages.

  • La BoJ dit surveiller ces négociations et discuter de nouvelles hausses de taux.

Le scénario de taux reste orienté à la hausse, avec un calendrier de relèvements jusqu’en 2027.

  • Une hausse est attendue en janvier 2026 (taux à 0,75 %), puis en juillet 2026 (1,00 %), janvier 2027 (1,25 %) et juillet 2027 (1,50 %).

  • Un Yen faible ajoute une pression inflationniste via les importations, et le ministère des Finances évoque la possibilité d’intervenir sur le Foreign Exchange si nécessaire.

La réaction des marchés a été forte mais n’est pas interprétée comme un moment de perte brutale de crédibilité budgétaire.

  • Le rendement des JGB à 10 ans a atteint un plus haut de 17 ans au-delà de 1,8 %.

  • Le Yen s’est déprécié vers 158 JPY/USD, un plus bas de 10 mois.

  • Cette réaction est lue comme une revalorisation du mix « relance budgétaire + resserrement monétaire », plus qu’un décrochage de confiance.

Banques centrales des pays émergents : coincées entre un dollar faible et de fortes contraintes domestiques.

Le cycle d’assouplissement monétaire des marchés émergents (EM), démarré mi-2023, est désormais mûr et beaucoup plus hétérogène.

  • Après une vague large de baisses de taux entre début 2024 et mi-2025, le rythme a nettement ralenti au T4 2025.

  • Seulement 4 banques centrales ont baissé en novembre, et 11 sont en pause depuis au moins six mois.

  • Sur 27 grandes banques centrales EM suivies, 25 sont encore en cycle de baisse, mais la fracture est nette entre les pays qui continuent d’assouplir activement (Mexique, Pologne, Afrique du Sud, Philippines, Égypte) et ceux qui ont déjà consommé l’essentiel de leur marge.

Un dollar plus faible en 2025 a donné de l’air à certains EM, mais les résultats ont souvent déçu par rapport aux attentes.

  • Entre fin 2024 et fin T3 2025, l’indice du dollar a reculé d’environ 10%, surtout jusqu’à fin avril 2025, ce qui a facilité l’assouplissement dans plusieurs pays.

  • Pourtant, près de la moitié des banques centrales EM ont baissé moins que prévu (principalement en Europe centrale et orientale et en Amérique latine), tandis qu’environ un tiers a baissé plus que prévu (plutôt en Asie du Sud/Sud-Est et au Mexique).

En Asie émergente et au Mexique, l’assouplissement plus marqué reflète un choc commercial et un alignement plus étroit sur le cycle américain.

  • Les droits de douane américains annoncés (initialement à plus de 30%, puis ramenés vers 19-25% pour certains pays) ont pesé sur les perspectives de croissance, alors que les risques inflationnistes restaient contenus, justifiant des baisses de taux.

  • Les devises de plusieurs pays asiatiques se sont dépréciées, réduisant les entrées de capitaux en monnaies fortes, avec un risque accru là où les déficits courants se dégradent (Philippines, Indonésie).

  • Le Mexique a aussi assoupli davantage que prévu (-250 bp) dans un contexte d’activité plus faible et de pressions de prix limitées.

Le risque clé pour 2026 est un retournement haussier du dollar, qui réduirait la marge de manœuvre des EM.

  • Un dollar plus fort renchérit le service de la dette externe et le coût des importations, et dégrade les positions externes et budgétaires.

  • Le risque est plus aigu pour les pays à forts besoins de financement externe (Éthiopie, Égypte, Argentine) et pour ceux très exposés à la dette libellée en USD (Colombie).

En Europe centrale/orientale et en Amérique latine, des facteurs internes ont forcé un biais plus hawkish (i. e. plus restrictif en ce qui concerne la politique monétaire) que prévu.

  • La Roumanie se distingue par un choc inflationniste proche de deux chiffres, lié notamment à des ajustements fiscaux et énergétiques.

  • Au Brésil et en Colombie, la volatilité des prix alimentaires, la demande intérieure robuste et l’incertitude budgétaire (dont risques pré-électoraux) maintiennent une asymétrie inflationniste.


Merci à Augustin Bonah pour son aide dans la préparation de cette édition. On vous retrouve la semaine prochaine.

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Par Ludovic Subran