Les tarifs américains mettent l’Europe à l’épreuve

Ludonomics
4 min ⋅ 04/06/2025

Bonjour, et bienvenue dans Ludonomics, la newsletter sur ce qui fait bouger l’économie mondiale. Je suis Ludovic Subran, chef économiste et CIO de l’assureur Allianz. Je vous donne rendez-vous toutes les semaines dans votre boîte mail. Suivez-moi également sur X.


FYI

Les tarifs américains mettent l’Europe à l’épreuve

L’annonce par les États-Unis, le 23 mai, d’un potentiel tarif douanier de 50 % sur les importations en provenance de l’Union européenne a plongé la relation transatlantique dans une nouvelle phase d’incertitude.

  • Cette décision marque une escalade brutale, bien au-delà de la hausse de 20 points qui avait été évoquée plus tôt lors de la “Journée de la Libération”.

  • Initialement prévue pour entrer en vigueur le 1er juin, l’application des nouvelles taxes a été suspendue jusqu’au 9 juillet, à la suite d’intenses échanges diplomatiques ayant abouti à un accord préliminaire en faveur de négociations plus structurées. Cette pause offre un répit, mais ne résout rien sur le fond.

L’Union européenne, bien qu’unie dans sa volonté d’éviter une guerre commerciale dommageable, peine à afficher une position commune.

  • À Bruxelles, les institutions européennes plaident pour une désescalade rapide, mais les États membres restent divisés sur la stratégie à adopter.

  • Certains pays, notamment ceux dont les exportations vers les États-Unis sont particulièrement exposées, appellent à une riposte ferme. Une première version d’une liste de contre-mesures circule déjà, avec jusqu’à 95 milliards d’euros de droits de douane en représailles, incluant 10,5 milliards sur l’aéronautique, 10,3 milliards sur les pièces automobiles, 6,4 milliards sur les produits agricoles et 7,2 milliards sur les équipements électriques.

  • D’autres États, plus prudents, s’inquiètent des effets secondaires d’un affrontement tarifaire, notamment sur la compétitivité de leurs industries ou sur les négociations bilatérales en cours.

Les divisions ne s’arrêtent pas à la question des représailles. Le contenu des concessions que l’UE pourrait accorder aux États-Unis dans le cadre d’un compromis reste flou.

  • En début d’année, la Commission avait proposé un paquet d’importations supplémentaires en provenance des États-Unis, estimé à 50 milliards d’euros, essentiellement composé de gaz naturel liquéfié (GNL) et de produits agricoles comme le soja.

  • Cette offre semble toutefois insuffisante face aux attentes américaines : l’UE a importé environ 370 milliards d’euros de biens américains en 2024, contre près de 590 milliards depuis la Chine, et a exporté pour près de 530 milliards vers les États-Unis.

Face à la pression, l’UE commence à esquisser un paquet plus large. Plusieurs pistes sont sur la table, allant de la relance d’un accord industriel sans droits de douane, à un assouplissement technique du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM) ou des taxes numériques. Reste à savoir si cette trêve temporaire suffira à éviter une confrontation durable.


ICYMI

BCE : vers un taux neutre, sans exclure de nouvelles baisses

La Banque centrale européenne devrait procéder à une nouvelle baisse de taux lors de sa réunion du 5 juin, ramenant le taux de dépôt à 2,0 %.

  • Ce nouvel assouplissement de 25 points de base porterait à 200 points le total des baisses depuis le début du cycle un an plus tôt, et replacerait la politique monétaire autour d’un niveau neutre.

  • Ce mouvement est largement anticipé par les marchés, mais les incertitudes demeurent quant à la suite.

L’inflation globale reste au-dessus de la cible, à 2,2 % en avril, mais c’est l’inflation sous-jacente – soit le prix des biens et services du quotidien, hors énergie et nourriture- qui inquiète : elle a bondi à 2,7 % en glissement annuel. La hausse des prix sous-jacents atteint un rythme annualisé de 5,4 % sur le mois, portée essentiellement par les services — du jamais vu depuis plus de deux ans.

Ce rebond des prix intervient alors que les vents contraires économiques se renforcent.

  • Les indices PMI, qui mesurent la santé des secteurs, ont de nouveau basculé en territoire négatif, à 48,9 dans les services et 49,4 dans l’industrie.

  • La confiance des consommateurs s’érode, et l’incertitude économique mondiale dépasse désormais les pics atteints lors de la pandémie.

Dans ce contexte, la BCE devrait poursuivre un cycle de baisse "réunion par réunion", visant 1,5 % d’ici septembre.

Les risques sont équilibrés : une flambée tarifaire côté américain pourrait accélérer l’assouplissement, tandis qu’un nouveau choc inflationniste dès mai repousserait toute nouvelle baisse. Quant au resserrement quantitatif (QT), il se poursuit sans heurts, les marchés obligataires européens affichant une stabilité rassurante pour Francfort.

De Tokyo à Berlin, les primes de risque grimpent sur fond de tensions mondiales

Depuis le début de l’année, les taux d’intérêt sur les dettes d’État à très long terme (30 ans et plus) ont fortement augmenté partout dans le monde.

  • Ils ont pris entre 0,30 et 0,80 point de pourcentage — un bond important dans ce segment d’habitude très stable.

  • En parallèle, l’écart entre les taux à 10 ans et ceux à 30 ans s’est aussi élargi, signe que les investisseurs demandent aujourd’hui plus de compensation pour prêter leur argent longtemps.

Deux raisons expliquent cette hausse.

  • D’abord, une réévaluation du “prix du temps” : pour prêter sur 30 ans, les investisseurs veulent désormais une prime plus élevée, car l’avenir semble plus incertain qu’avant.

  • Ensuite, la pression vient en grande partie des États-Unis. Les obligations à 30 ans du gouvernement américain, très influentes, ont tiré les autres marchés vers le haut. Elles expliquent à elles seules plus de 75 % de la hausse des taux longs cette année. La hausse des taux Japonais s’explique elle par une vente massive de titres par les assureurs locaux, et la Suisse elle connait une baisse de ses taux grâce aux flux entrants vers les actifs refuges.

Les banques centrales observent la situation avec attention. Elles n’interviendront que si la stabilité du système est menacée, et le feront de manière discrète : en allégeant des règles bancaires, ou en adaptant leurs outils techniques, sans provoquer de panique.

D’ici là, les investisseurs s’adaptent. Certains réduisent leur exposition à ces titres très longs, d’autres cherchent à se couvrir contre de nouvelles hausses. À ce stade, les dettes d’État deviennent même moins chères que certaines dettes d’entreprises très bien notées comme Apple ou Microsoft — un retournement rare sur les marchés.


Merci à Perrine Levin pour son aide dans la préparation de cette édition. On vous retrouve la semaine prochaine.

Ludonomics

Ludonomics

Par Ludovic Subran