Trump et le dollar : victoire à la Pyrrhus ?

Le président Trump avait promis un dollar plus faible, et il l’a obtenu.

Ludonomics
4 min ⋅ 30/04/2025

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Trump et le dollar : victoire à la Pyrrhus ?

Cent jours après son retour à la Maison Blanche, l’indice pondéré du dollar a atteint son plus bas niveau depuis 2022, enregistrant une baisse de 10 % depuis l’inauguration de janvier.

Mais ce résultat apparent masque un malaise plus profond : la chute de la devise américaine n’est pas le fruit d’un rééquilibrage structurel ou d’une stratégie industrielle, mais d’une crise de confiance.

  • Depuis le « Jour de la Libération » du 2 avril, marqué par une salve de tarifs douaniers, les investisseurs désertent massivement les actifs libellés en dollar.

  • Les rendements obligataires augmentent, mais le dollar baisse – un signal rare, qui traduit des sorties de capitaux nettes, tant des obligations que des actions américaines.

  • À cela s’ajoute un facteur politique préoccupant : l’attaque frontale de Trump contre l’indépendance de la Réserve fédérale.

En qualifiant Jerôme Powell de « trop lent et incompétent » et en évoquant sa destitution (avant de se raviser face à la réaction des marchés), Trump a franchi une ligne rouge.

  • Historiquement, ce type de pression politique sur la banque centrale – comme sous Nixon dans les années 1970 – a été corrélé à une flambée durable de l’inflation. Or, l’économie américaine n’a pas besoin aujourd’hui d’un assouplissement monétaire.

  • Les hausses de tarifs ont déjà alimenté une poussée inflationniste, et les anticipations d’inflation des ménages se sont envolées. La Fed pourrait difficilement justifier une baisse de taux sans compromettre sa crédibilité.

  • Pendant ce temps, les investisseurs étrangers, très exposés aux États-Unis, cherchent des alternatives.

Mais les choix sont limités, ce qui accroît la vulnérabilité du dollar : toute réduction, même partielle, de ces flux entrants pèserait fortement sur la devise.

  • À plus long terme, le dollar reste surévalué – de près de 20 % par rapport à sa moyenne historique en termes réels.

  • À l’inverse, le yen japonais semble sous-évalué, tandis que l’euro, la livre sterling et le yuan apparaissent mieux alignés avec leurs fondamentaux.

Notre scénario central reste une poursuite de la volatilité, avec une parité EURUSD autour de 1,12 en fin d’année, à condition que la politique américaine retrouve un minimum de cohérence.


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Jetlag économique : quand les tarifs freinent les décollages

Le ciel s’obscurcit à nouveau pour les compagnies aériennes. Après une reprise fragile post-pandémie, la guerre commerciale relance les turbulences.

Les hausses de tarifs douaniers annoncées début avril devraient faire grimper le coût des avions et freiner la demande touristique vers les États-Unis. Les constructeurs sont déjà sous pression.

  • En 2024, Boeing et Airbus n’ont livré que 90 % de leurs volumes d’avant-crise, alors que la demande explose. Résultat : un carnet de commandes mondial record de 17 000 avions et des délais de livraison historiques, notamment sur les modèles long-courriers.

  • Avec plus de la moitié de ses fournisseurs basés à l’étranger, Boeing sera particulièrement exposé : une large part de ses coûts de production subira une hausse immédiate d’au moins 10 %.

Côté demande, les signaux sont tout aussi préoccupants.

  • Les États-Unis ont accueilli 72 millions de visiteurs internationaux l’an dernier, générant plus de 215 milliards de dollars de recettes touristiques.

  • Mais l’instabilité politique et les tensions diplomatiques pèsent désormais sur l’attractivité de la destination.

  • Depuis les annonces tarifaires, les taux de remplissage des vols vers ou à l’intérieur des États-Unis ont chuté de 84 % à 78 %, entraînant un recul moyen de -10 % du chiffre d’affaires des compagnies nord-américaines au T1 2025.

Ce ralentissement ne se limite pas aux transporteurs américains.

  • Les compagnies transatlantiques comme British Airways (IAG) ou Lufthansa, dont 12 à 15 % des sièges sont alloués aux liaisons vers les États-Unis, sont également concernées.

  • Or, ces routes long-courriers concentrent une clientèle premium (business, première), essentielle à la rentabilité du secteur.

À court terme, les prévisions de croissance du chiffre d’affaires restent faibles : seulement +1 % pour les compagnies nord-américaines cette année, loin derrière leurs homologues asiatiques et européennes.

Le dilemme des puces : contenir la Chine ou soutenir la croissance ?

Nouvelle offensive des États-Unis dans la guerre technologique : Washington interdit à Nvidia et AMD de vendre leurs puces conçues pour le marché chinois.

  • Officiellement, il s’agit de préserver l’avance américaine dans l’IA. En réalité, cette mesure risque surtout d’affaiblir les champions US du secteur.

  • La Chine a déjà montré sa capacité à contourner les restrictions en développant, avec des puces de seconde génération, des modèles d’IA open source compétitifs.

  • Et malgré les précédentes limites à l’exportation, elle reste le principal client mondial de semi-conducteurs américains (20 % des ventes en 2024 si l’on inclut Hong Kong).

Les failles juridiques , absence de traçabilité des utilisateurs finaux, contournement via des partenaires commerciaux , affaiblissent les sanctions. Et l’administration américaine ne dispose ni des outils ni des ressources pour faire respecter efficacement ses propres règles.

Résultat : un embargo total se profile. Mais les entreprises américaines paieront la facture.

  • Nvidia anticipe 5,5 Mds USD de pertes, soit 6,5 % de son EBITDA annuel, AMD près de 15 %. Impossible de rediriger ces puces spécifiques vers d’autres marchés.

  • Et ce n’est pas tout : les menaces de nouveaux droits de douane sur les semi-conducteurs s’ajoutent à une pression réglementaire domestique croissante (Google et Meta visés), dans un contexte de ralentissement. Le Nasdaq a chuté de -30 % depuis février.

Le pari défensif devient une double peine : la Chine accélère son autonomie technologique, tandis que les géants américains doivent réviser à la baisse leurs prévisions, fragilisés par des décisions qui visent à protéger… ce qu’elles risquent de leur faire perdre.


Merci à Perrine Levin pour son aide dans la préparation de cette édition. On vous retrouve la semaine prochaine.

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Par Ludovic Subran