Guerre commerciale : la Chine peut-elle jouer en défense ?

Mais aussi : marchés obligataires et marché du travail US

Ludonomics
4 min ⋅ 22/04/2025

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Guerre commerciale : la Chine peut-elle jouer en défense ?

Le 11 avril, la Maison Blanche a annoncé un élargissement des exemptions tarifaires, réduisant la pression sur certaines catégories de biens importés de Chine. Désormais, des produits comme les ordinateurs portables, les tablettes et les smartphones sont temporairement exclus des hausses prévues dans le cadre du « Jour de la Libération ».

  • Cette décision porte la part des importations américaines exemptées de droits supplémentaires à 32 %, contre 24 % auparavant.

  • Le tarif moyen appliqué aux importations mondiales chute ainsi à 21,4 %, contre 25,5 %.

  • Pour la Chine, le taux recule de 130 % à 103 %, soit une baisse de 27 points de pourcentage.

Face à ce contexte, la Chine cherche des solutions pour amortir le choc. Une première stratégie consiste à détourner une partie de ses exportations vers d'autres pays asiatiques.

  • En théorie, jusqu’à 64 % des exportations pourraient être reroutées via des pays partenaires qui bénéficient de droits de douane plus faibles aux États-Unis.

  • Ce mécanisme permettrait de transformer, assembler ou simplement faire transiter les produits dans un autre pays, avant de les expédier vers le marché américain avec une nouvelle origine douanière.

Ce type de stratégie est envisageable à court terme, surtout pour des biens à forte marge et faible volume, comme certains équipements électroniques ou électroménagers. En revanche, à grande échelle, la mise en œuvre reste complexe. Les ports asiatiques approchent de leur capacité maximale. Les chaînes logistiques sont déjà fragilisées. Et la surveillance des autorités américaines sur les règles d’origine s’intensifie.

La Chine explore également d'autres marchés pour rediriger ses exportations. L’Union européenne, le Royaume-Uni, le Vietnam, le Mexique ou encore le Nigéria figurent parmi les destinations possibles.

  • Dans un scénario de réallocation progressive sur trois ans, les exportations chinoises vers ces pays pourraient croître d’environ 6 % par an.

  • Ce levier reste toutefois insuffisant pour compenser totalement la perte de la demande américaine.

Car la réalité est que le monde, y compris les États-Unis, reste largement dépendant de la production chinoise. La Chine concentre 35 % des capacités mondiales de production électronique, 32 % dans les équipements domestiques et 31 % dans le textile.

Ces secteurs, profondément enracinés dans l’appareil industriel chinois, seront les plus exposés aux nouvelles hausses tarifaires. Aux États-Unis, la production locale dans ces mêmes secteurs reste marginale, autour de 6 à 9 %, ce qui limite les alternatives pour les consommateurs.

Si la demande américaine se contracte, et si la Chine ne parvient pas à réorienter suffisamment ses flux, des excédents de production risquent de s’accumuler. Les industriels chinois pourraient être contraints de ralentir leur activité dans les trimestres à venir, notamment dans l’électronique, le textile et l’électroménager.

Pour les États-Unis, l’exposition directe reste contenue à l’échelle macroéconomique. Aucun secteur ne dépend à plus de 12 % de capacités de production situées en Chine.

Toutefois, certains domaines restent vulnérables. L’électronique et le textile, notamment, pourraient connaître des perturbations, avec 10 à 11 % de leurs chaînes de production encore implantées en Chine. Dans un contexte de tensions prolongées, les effets seront visibles aussi bien sur les prix que sur les délais d’approvisionnement.


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Les marchés obligataires affrontent la tempête

Le « Jour de la Libération » a déclenché une onde de choc sur les marchés obligataires mondiaux. Les nouveaux tarifs massifs annoncés le 2 avril, suivis de mesures temporaires et de contre-tarifs, ont provoqué une forte correction.

  • Le rendement des obligations américaines à 30 ans a bondi de 46 points de base en une semaine, une hausse inédite depuis plus de vingt ans.

  • L’écart entre les rendements des bons du Trésor américain à 10 ans et des Bunds allemands s’est creusé de 50 points de base, marquant une rupture brutale avec la tendance précédente.

Le désengagement d’investisseurs étrangers semble être la cause principale. Après un bref mouvement vers les actifs refuges, les marchés ont réagi aux conséquences inflationnistes des tarifs.

  • Une inflation plus forte pourrait retarder les baisses de taux de la Fed. Des rumeurs pointent vers la Chine et des fonds de pension canadiens et danois comme vendeurs.

  • Pékin, en particulier, a des raisons géopolitiques de réduire son exposition au dollar.

Face à cette volatilité, l’administration Trump a annoncé un moratoire de 90 jours sur les nouveaux droits de douane.

  • Le risque d’un « moment Truss » à l’américaine n’est pas pris à la légère.

  • Pour l’instant, les fondamentaux restent solides. Des rendements plus élevés rendent les Treasuries attractifs pour les investisseurs long terme.

Marché du travail aux États-Unis : jusqu’où peut-il se détériorer ?

Le marché du travail américain reste solide malgré des vents économiques contraires, notamment une incertitude politique croissante.

  • La forte hausse de 228 000 emplois non agricoles en mars montre que le marché du travail demeure robuste. Les secteurs privés, à l’exception de l’éducation et de la santé, ont été les principaux moteurs de cette croissance, notamment dans les services, comme le commerce de détail et le transport.

  • L’emploi dans le secteur manufacturier, en revanche, a progressé de manière marginale. Le taux de chômage a légèrement augmenté à 4,2 %, tandis que les effectifs gouvernementaux ont augmenté de 19 000, un peu en dessous de la moyenne récente.

Les indicateurs prospectifs suggèrent que cette résilience devrait se poursuivre au deuxième trimestre 2025.

  • Les enquêtes de la NFIB et du Conference Board montrent des signaux mitigés mais pas de détérioration significative à court terme.

  • Malgré l'inflation liée aux hausses de tarifs et une incertitude politique persistante, les grandes vagues de licenciements ne sont pas attendues, les entreprises américaines étant toujours bénéficiaires et confrontées à une pénurie de main-d'œuvre.

Néanmoins, le taux de chômage devrait augmenter, atteignant 5 % d'ici le premier trimestre 2026. L’état relativement solide des bilans des ménages américains et l’absence de surcapacité dans l’économie devraient limiter la détérioration du marché du travail dans les prochains mois.

Les entreprises restent confrontées à des pénuries de main-d'œuvre, et l’adaptation des heures de travail plutôt que des suppressions de postes semble être la stratégie privilégiée.

De plus, les profits des entreprises, ajustés à l’inflation, sont élevés, offrant une certaine marge de manœuvre face aux tarifs douaniers et réduisant la probabilité de licenciements massifs.


Merci à Perrine Levin pour son aide dans la préparation de cette édition. On vous retrouve la semaine prochaine.

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Par Ludovic Subran