Bonjour, et bienvenue dans Ludonomics, la newsletter sur ce qui fait bouger l’économie mondiale. Je suis Ludovic Subran, chef économiste et CIO de l’assureur Allianz. Je vous donne rendez-vous toutes les semaines dans votre boîte mail. Suivez-moi également sur X.
Après douze jours d’escalade militaire entre Israël et l’Iran, un cessez-le-feu intermittent a été conclu le 24 juin sous l’impulsion des États-Unis. Cette trêve, bien que précaire, a suffi à rassurer les marchés mondiaux, particulièrement les marchés de l’énergie, qui redoutaient une extension régionale du conflit.
Le prix du Brent, qui avait frôlé les 80 USD/baril le 20 juin, est retombé sous les 70 USD/baril après l’annonce, affichant une baisse de plus de 10 %.
Cette correction reflète le recul de la prime de risque géopolitique, notamment les craintes liées à une éventuelle fermeture du détroit d’Ormuz, par où transitent près de 20 % du pétrole et du gaz naturel liquéfié (GNL) mondial.
Les marchés financiers ont également réagi favorablement.
Le S&P 500 a progressé de 2 %, le Stoxx Europe 600 de 1,5 %, et l’euro s’est apprécié de 1,5 % face au dollar.
Les investisseurs tablent désormais sur une désescalade, bien que les échanges de tirs entre les deux pays aient repris sporadiquement, et qu’Israël accuse déjà l’Iran d’avoir violé la trêve.
Le scénario de base (65 % de probabilité) prévoit une confrontation militaire limitée, avec des périodes de calme suivies de nouveaux accrochages. Ce cadre permettrait aux marchés de stabiliser leurs anticipations. Les perspectives économiques mondiales resteraient alors peu affectées : une croissance maintenue dans les économies avancées, et une inflation sous contrôle, grâce à une détente durable des prix de l’énergie. Dans ce contexte, le Brent pourrait évoluer autour de 66 USD/baril en 2025, puis 64 USD en 2026.
À l’inverse, un scénario pessimiste (15 % de probabilité) prévoit une reprise du conflit avec attaque d’infrastructures énergétiques, voire un blocage du détroit d’Ormuz. Les conséquences seraient sévères : le prix du Brent pourrait atteindre 120 USD/baril en 2025, puis 90 USD en 2026. Ce choc pétrolier provoquerait une baisse de 1 point de PIB aux États-Unis et dans la zone euro, et une poussée inflationniste de +0,5 à +0,6 point. Les économies asiatiques, très dépendantes du Golfe, seraient particulièrement exposées.
Sur le plan régional, l’équilibre reste instable.
L’Iran sort affaibli : ses infrastructures nucléaires et une partie de sa hiérarchie militaire ont été ciblées, mais le régime conserve le soutien de sa population.
En Israël, la guerre pourrait modifier les équilibres politiques. Si le gouvernement Netanyahu était en perte de vitesse avant le conflit, l’offensive contre l’Iran s’est révélée populaire. Des élections anticipées pourraient avoir lieu au second semestre 2025.
Dans le Golfe, les monarchies accélèrent la sécurisation de leurs infrastructures. De nouveaux projets de pipelines évitant le détroit d’Ormuz — via le Kurdistan irakien, la mer Rouge ou l’océan Indien — sont à l’étude. Enfin, les États-Unis devraient renforcer leur rôle sécuritaire dans la région, alors que les équilibres géopolitiques restent fragiles.
Depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, les dépenses de défense en Europe ont bondi de +75 %, dépassant pour la première fois les 100 milliards d’euros en 2023.
Cette poussée a surtout concerné les achats d’équipements (85 % de l’augmentation), tandis que la R&D n’a progressé que de +26 %.
Désormais, un objectif ambitieux de 3,5 % du PIB d’ici 2035 redéfinit les trajectoires stratégiques.
Mais cette dynamique reste déséquilibrée.
En 2023, 42 % des budgets de défense européens étaient encore absorbés par les coûts de personnel, alors que les standards transatlantiques plaident pour au moins 30 % alloués à l’investissement industriel.
À ce rythme, les pays de l’UE membres de l’OTAN devront injecter 261 milliards USD supplémentaires par an pour atteindre cet objectif. L’Allemagne vise 2029, la France 2030, le Royaume-Uni 2035. L’Italie, plus prudente, table sur une décennie.
Les industriels européens peinent à suivre.
Les commandes ont explosé (+70 % depuis fin 2021), les carnets dépassant les 1 000 milliards d’euros. Pourtant, les investissements restent faibles : seulement 5 % du chiffre d’affaires réinjectés en capital en 2023, bien en deçà d'autres secteurs industriels.
La dépendance extérieure reste préoccupante, bien que nuancée : environ 50 % des importations militaires viennent encore de l’UE, mais des lacunes technologiques persistent, notamment sur les drones, les semi-conducteurs ou les capteurs avancés.
Le financement demeure un défi majeur.
La reprise des règles budgétaires européennes limite la marge de manœuvre. Si certains pays empruntent, d’autres augmentent les impôts ou réallouent les fonds européens (jusqu’à 90 milliards d’euros pourraient être redirigés depuis le plan NGEU).
L’instrument SAFE de l’UE vise à structurer cette montée en charge via des achats conjoints et des incitations fiscales, tout en préservant l’autonomie stratégique.
Pour la première fois en plus de deux ans, les mises à jour trimestrielles des notations pays révèlent un équilibre entre relèvements et abaissements de note (cinq chacun), marquant un possible point d’inflexion. Les dégradations concernent exclusivement des économies avancées, tandis que les relèvements se concentrent sur les marchés émergents.
Les États-Unis, la France et la Belgique ont été rétrogradés de AA1 à A1, en raison d’une détérioration de leurs perspectives macroéconomiques. Aux États-Unis, le creusement du déficit, la montée des coûts d’emprunt et les incertitudes politiques alimentent les inquiétudes. Un nouveau plan fiscal attendu à l’automne pourrait alourdir encore le déficit primaire d’ici 2026.
En France, malgré une réduction attendue du déficit à 5 % du PIB en 2025, les pressions budgétaires persistent, aggravées par les besoins en défense et les blocages politiques. En Belgique, les déficits chroniques et le manque de réformes freinent toute amélioration.
À l’inverse, plusieurs émergents affichent des signes de redressement : l’Albanie, l’Argentine, le Nigeria, le Pérou et le Suriname ont vu leurs notes relevées. Le Pérou, en particulier, a enregistré une croissance de +3,3 % en 2024, avec une inflation maîtrisée et des comptes extérieurs solides, malgré un déficit budgétaire de 3,5 % du PIB.
Côté sectoriel, le risque global continue de se détériorer légèrement pour un troisième trimestre consécutif. Le secteur automobile reste le plus touché, avec 10 dégradations en Amérique latine, Asie-Pacifique et Europe, dues à la faiblesse de la demande, la fin des subventions, et la guerre commerciale persistante. Les constructeurs japonais, sud-coréens et européens sont particulièrement exposés aux tensions commerciales et à la montée en puissance des concurrents chinois, dans un contexte de durcissement réglementaire et de marges sous pression.
Merci à Perrine Levin pour son aide dans la préparation de cette édition. On vous retrouve la semaine prochaine