Liberation Day

Que retenir des annonces de Donald Trump

Ludonomics
4 min ⋅ 07/04/2025

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‘Liberation Day’

Le 2 avril, le président américain Donald Trump a annoncé des mesures tarifaires réciproques dépassant toutes les prévisions, avec des droits de douane atteignant 59 % sur certains produits importés de Chine.

Ces décisions faisaient partie des annonces du « Jour de la Libération », comprenant un tarif minimum universel de 10 % qui entrera en vigueur le 5 avril. Trump a également décidé d’imposer des augmentations tarifaires sur plus de 50 pays avec lesquels les États-Unis ont déficits commercial important, représentant 98 % du déficit commercial américain sur le commerce de biens.

  • L’UE est particulièrement touchée, avec une hausse supplémentaire de 20 points de pourcentage, portant le tarif moyen des biens importés de l’UE à 13,3 %.

  • Les cinq pays les plus impactés sont le Vietnam (+40,4 pp), la Thaïlande (+29,4 pp), l’Indonésie (+28,1 pp), Taïwan (+26,4 pp) et la Chine (+26,3 pp).

En tenant compte de certains accords bilatéraux, nous prévoyons que ce tarif pourrait baisser à 11,8 % d’ici le quatrième trimestre 2025. Toutefois, ce nouvel environnement tarifaire entraînera une augmentation du taux moyen pondéré par les importations, atteignant 20,6 %, un niveau jamais vu depuis les années 1890. Cela pourrait entraîner une récession du commerce mondial, avec des pertes d’exportations mondiales estimées à 440 milliards de dollars en 2025 et 354 milliards en 2026.

  • La Chine, en tant que principal fournisseur des États-Unis, subira des pertes de 164 milliards de dollars en 2025, soit 0,8 % de son PIB. Les secteurs les plus touchés incluent l’informatique et les télécommunications, les machines et équipements, ainsi que les appareils électroménagers.

  • L’UE, avec des pertes de 62 milliards de dollars, subira également une pression sur ses exportations, notamment dans les secteurs de la machinerie et des équipements, ainsi que dans l’automobile, avec des pertes particulièrement importantes pour l’Allemagne.

L’Europe n’a pas encore annoncé de mesures de représailles supplémentaires depuis celles de mars, mais une réponse réciproque pourrait entraîner des pertes d’exportation estimées à 26 milliards de dollars pour les États-Unis. Parmi les secteurs les plus exposés, les produits pharmaceutiques risquent de perdre jusqu’à 7,5 milliards de dollars. La Chine a également annoncé une augmentation de 34 points de pourcentage des droits de douane sur toutes les importations en provenance des États-Unis, à compter du 10 avril, entraînant des pertes d’exportations américaines d’environ 64 milliards de dollars par an.

Les secteurs américains les plus vulnérables à ces nouvelles mesures incluent l’agriculture (soja, blé, maïs), l’énergie, le secteur pharmaceutique et les équipements industriels. Les exportations dans ces domaines pourraient enregistrer des pertes significatives, notamment 22,3 milliards de dollars pour l’agroalimentaire et 19,3 milliards de dollars pour le secteur pétrolier et gazier.

  • Malgré ces tensions, les entreprises américaines bénéficient de solides bilans financiers et de stocks suffisants pour répondre à la demande pendant environ six mois.

  • Toutefois, la majorité d'entre elles risque de répercuter les hausses de tarifs sur leurs clients, surtout dans les secteurs technologiques, automobiles et pharmaceutiques.

  • Plusieurs stratégies ont déjà été mises en place pour atténuer les effets des tarifs, telles que l’anticipation des importations et la recherche de fournisseurs alternatifs.

  • L’économie américaine devrait entrer en récession d’ici le troisième trimestre 2025, avec une croissance modeste de seulement +0,8 % en 2025. La contraction du PIB devrait être visible dès le premier trimestre 2025, en grande partie due à une baisse des exportations et des investissements.

  • L’inflation devrait culminer à 4,5 % au cours de l’été 2025, alimentée par la hausse des prix des biens et des produits alimentaires. Toutefois, l’inflation devrait ensuite reculer en raison de la faiblesse de la demande, avec une prévision de 3,8 % pour l’année 2025.

L’Europe, bien que moins touchée, connaîtra également une croissance ralentie, en grande partie à cause des restrictions commerciales accrues et de la faiblesse de l’économie américaine. Les exportations européennes vers les États-Unis, représentant 3,5 % du PIB de la zone euro, et seront freinées par la hausse des tarifs. La Chine, pour sa part, met en œuvre un soutien économique supplémentaire pour compenser les effets négatifs des tarifs, avec un plan de stimulus fiscal de 2 900 milliards de RMB. La croissance du PIB de la Chine devrait rester stable à 4,6 % en 2025, bien que les défis restent considérables.

Dans un scénario défavorable, si les États-Unis maintiennent des tarifs aussi élevés, la récession pourrait perdurer jusqu’au début de 2026, avec des prévisions de croissance réduites à +0,4 % en 2025 et +1,5 % en 2026. L’inflation continuerait d’être un défi, avec des taux atteignant 4,2 % en 2025.

Les États-Unis sous pression

Les rendements des obligations souveraines ont chuté à l’échelle mondiale, les taux des bons du Trésor américain à 10 ans ayant diminué de plus de 15 points de base pour passer sous les 4 % après l’annonce des tarifs.

  • Ce mouvement a été observé ailleurs, avec une baisse similaire des rendements des obligations européennes, notamment en Allemagne, où les taux ont baissé sous 2,6 %. Cette évolution montre que les préoccupations de récession surpassent celles de l’inflation, même aux États-Unis.

  • Les obligations indexées sur l’inflation, qui indiquent des attentes d’inflation plus faibles, ont joué un rôle majeur dans cette baisse des rendements nominaux et réels.

Les marchés anticipent maintenant une série de baisses de taux par les banques centrales, avec quatre réductions attendues par la Fed et trois par la BCE d'ici la fin de l’année.

  • Cette anticipation a entraîné une vente généralisée sur les marchés à risque, avec des pertes importantes dès le premier jour : le Topix japonais a chuté de 3,1 %, le Hang Seng de 1,5 %, l’Euro Stoxx 50 de 3,6 %, et le S&P 500 de 4,8 %.

  • En parallèle, le dollar a perdu 1,8 % face à l’euro et 1,6 % contre un panier de devises, mettant en évidence la pression sur les entreprises américaines.

Une récession américaine semble désormais inévitable, ce qui risque d’entraîner une nouvelle baisse des actions. Les marchés émergents, particulièrement en Asie, souffriront davantage des tarifs élevés, mais ont montré plus de résilience que le crédit américain.

L'incertitude accrue pourrait aussi restreindre les sorties de capital-investissement et affecter la dette privée, avec des conditions de prêt plus strictes attendues face aux risques de défaut plus élevés.


Merci à Perrine Levin pour son aide dans la préparation de cette édition. On vous retrouve la semaine prochaine.

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Par Ludovic Subran