France : Le blues de la rentrée

Ludonomics
5 min ⋅ 08/09/2025

Bonjour, et bienvenue dans Ludonomics, la newsletter sur ce qui fait bouger l’économie mondiale. Je suis Ludovic Subran, chef économiste et CIO de l’assureur Allianz. Je vous donne rendez-vous toutes les semaines dans votre boîte mail. Suivez-moi également sur X.


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France : Le blues de la rentrée

La rentrée démarre par un nouveau vote de confiance le 8 septembre après l'impasse politique sur le budget 2026. 

  • Bayrou souhaite faire approuver son plan budgétaire de € 44 milliards (1,4 % du PIB) visant à réduire le déficit public de 5,8 % en 2024 à 4,6 % en 2026.

  • Avec près de la moitié sous forme de hausses d'impôts, le budget de Bayrou réduirait la croissance du PIB de -0,6% en 2026.

La réaction du marché reflète des risques budgétaires à long terme plutôt que de l'incertitude politique à court terme.

  • L'écart des obligations d'État à 10 ans de la France par rapport à l'Allemagne reste à sa juste valeur (80 points de base (pbs).

  • La France est désormais considérée par les marchés comme un émetteur « non-central » (associé à un risque de crédit plus élevé comparé aux émetteurs centraux). Plusieurs agences de notation publieront leurs évaluations dans les prochains mois, dont Fitch, Moody’s et S&P.

Le gouvernement Bayrou a peu de chances d’obtenir la confiance, rendant un budget allégé probable d’ici la fin de l’année (probabilité de 50%).

  • Dans ce scénario de base, les spreads OAT seraient de 80 à 90 pbs et le budget pourrait être retardé jusqu'au début de 2026 en raison de négociations difficiles avec les partis politiques.

  • Le déficit budgétaire atteindrait 5 % du PIB en 2026, contre 5,5 % cette année. La dette publique française devrait atteindre 117 % du PIB en 2025 et 119 % en 2026.

  • Le budget reprendrait partiellement les réformes de Bayrou, comme la rationalisation des dépenses publiques et fiscales, tout en écartant les mesures les plus sensibles socialement.

Le gouvernement pourrait alternativement opter pour une loi spéciale au lieu d'un projet de loi de finances (probabilité de 30 %).

  • Dans ce scénario, même si Bayrou ne parvient pas à remporter le vote de confiance, le président Macron pourrait lui demander de rester en fonction, à la tête d'un gouvernement intérimaire.

  • L’impasse politique prolongerait des conditions financières tendues (OAT à 90–100 pb). 

  • La croissance serait légèrement plus faible (+1 %) et le déficit un peu plus élevé (-5,1 % en 2026), malgré la mise en œuvre partielle du plan Bayrou via une loi spéciale (environ € 20 Milliards).

Des élections anticipées et une grave crise politique feraient grimper les spreads OAT à 100-110 pb, mais cela semble peu probable (probabilité de 15 %).

  • Si les spreads français atteignaient 100-120 pb, la BCE ralentirait probablement ou arrêterait son rythme actuel de resserrement quantitatif (QT).

  • Un mouvement vers 120-150 pb pourrait déclencher l'instrument de protection de la transmission (achat d’obligations souveraines par la BCE pour une transmission uniforme de sa politique monétaire), ce qui ramènerait les spreads dans la fourchette de 80-90 pb.

  • La croissance du PIB français reste atone. Nous prévoyons une reprise en 2026. Néanmoins, sans assainissement budgétaire, la France aurait besoin d'une croissance de +2,3-2,4 % pour stabiliser le ratio dette/PIB – une perspective lointaine.


ICYMI

BCE : S'arrêter plus longtemps

La BCE devrait maintenir ses taux directeurs inchangés à 2 % lors de sa prochaine réunion du 11 septembre. 

  • Ce choix s’inscrit dans une situation de hausse de l'inflation, de l'atténuation de l'incertitude autour de la guerre commerciale.

  • La communication de la BCE est claire : en l'absence d'un choc majeur, l'orientation actuelle de la politique monétaire restera inchangée. 

  • Les déclarations du gouverneur de la Banque centrale de la Finlande d’une possible baisse des taux en dessous du taux neutre, illustrent les divergences persistantes au sein de la BCE. 

L'inflation, les marchés du travail et l'accord commercial justifient l'orientation actuelle de la politique.

  • L'inflation à la hausse a récemment surpris, avec un taux d'inflation global atteignant 2,1 % en glissement annuel en août (contre 2,0 % en juillet), tandis que l'inflation sous-jacente est restée stable à 2,3 %.

  • Le marché du travail reste robuste, avec un taux de chômage à un niveau record de 6,2 %.

  • L'économie mondiale semble résiliente face à l'environnement de tarifs plus élevés. Les indices de surprise économique montrent que les dommages causés par la guerre commerciale ont peut-être été surestimés ou restent à voir.

Les indicateurs avancés restent fragiles, reflétant une reprise modérée de l’activité sans réel signal d’accélération économique.

  • Les agrégats monétaires repartent à la hausse mais restent sous les moyennes historiques. 

  • La demande de crédits des entreprises s’améliore légèrement, mais reste faible.

  • L’indice PMI composite a atteint 51,1 en août (le plus haut depuis 12 mois), mais ne signale pas une reprise forte.

  • La confiance des consommateurs et le climat économique restent dégradés.

Le resserrement quantitatif rapide de la BCE accentue les tensions sur les marchés obligataires.

  • Le resserrement quantitatif (QT) de la BCE est le plus rapide parmi les grandes banques centrales, avec 40 Mds € de réduction mensuelle (soit 3,2 % du PIB).

  • En comparaison, la Fed réduit de seulement $ 5 Milliards par mois (0,2 % du PIB), et la BoE de £ 8 Milliards. La BCE pourrait être forcée de revoir sa position si les marchés deviennent trop instables.

  • Les évolutions de la politique monétaire américaine pourraient contraindre la BCE à ajuster sa stratégie, notamment pour limiter les pressions à la hausse sur l’euro dans un contexte de faible croissance en zone euro.

Pas de pause estivale pour la guerre commerciale

La politique commerciale américaine s’est durcie cet été, avec une hausse marquée des droits de douane.

  • Les droits théoriques sont passés de 13 % à 17 % entre juillet et septembre. De plus, plusieurs accords bilatéraux et ajustements tarifaires ont été annoncés. L’accord avec l’UE fixe un taux de 12 % (contre 1 % prévu fin 2024). 

  • Les droits sur l’acier et l’aluminium ont été étendus, et l’exemption de minimis supprimée. Une trêve commerciale avec la Chine a été prolongée jusqu’au 10 novembre.

Le taux de droits effectif reste inférieur au taux théorique, en raison de la diversification des importations.

  • On observe moins d’importations en provenance de Chine (9 % en juillet contre 14 % en 2024) et plus d’importations depuis des pays à droits plus faibles (Inde, ASEAN, Taïwan, Mexique).

  • De plus, l'incertitude persiste, car plusieurs enquêtes sectorielles en vertu de la section 232 doivent être terminées d'ici la fin de l'année.

  • Une augmentation des droits de douane de +25 points de pourcentage sur tous les produits actuellement sous enquête pourrait encore augmenter le taux de droits de douane des États-Unis jusqu'à +3 points de pourcentage. 

Dans le même temps, s'il est approuvé, l'accord UE-États-Unis devrait à terme porter le taux de droits de douane américain sur l'UE à 12 %. 

  • Cela pourrait potentiellement aider l'UE à récupérer les parts de marché américaines perdues depuis le début de l'année (-2 pp), notamment sur les avions et les pièces détachées et les équipements de semi-conducteurs. 

  • Mais certaines concessions pourraient entraver les ambitions de l'UE en matière d'approvisionnement, de défense, de confidentialité des données, de réduction des émissions et d'approvisionnement en énergie.

  • D'ici 2028, l’UE prévoit d’investir massivement dans la défense et les technologies numériques, au risque d’accroître sa dépendance stratégique et technologique vis-à-vis des États-Unis, en contradiction avec ses objectifs d’autonomie.

L'UE tente de se diversifier en dehors des États-Unis, avec l'intensification des négociations sur les accords de libre-échange.

  • L'accord de libre-échange entre le Mercosur et l'UE, que la Commission européenne vise à finaliser d'ici décembre 2025, est maintenant en phase finale d'approbation.

  • L'accord de libre-échange entre l'Inde et l'UE, en cours de négociation, devrait être officialisé d'ici la fin de l'année. 

  • Si les deux ALE sont signés d'ici la fin de l'année, les gains à l'exportation de l'UE pourraient dépasser $ 10 milliards lorsqu'ils seront mis en œuvre.


Merci à Augustin Bonah pour son aide dans la préparation de cette édition. On vous retrouve la semaine prochaine.

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Par Ludovic Subran