Qui paie pour la guerre commerciale ?

Ludonomics
5 min ⋅ 22/09/2025

Bonjour, et bienvenue dans Ludonomics, la newsletter sur ce qui fait bouger l’économie mondiale. Je suis Ludovic Subran, chef économiste et CIO de l’assureur Allianz. Je vous donne rendez-vous toutes les semaines dans votre boîte mail. Suivez-moi également sur X.


FYI

Qui paie pour la guerre commerciale ?

Suite aux hausses de droits de douane, les douanes américaines ont déjà collecté $165 milliards de revenus depuis le début de l'année, contre seulement $69 milliards à la même période l'année dernière. 

  • En quelques mois seulement, la part des recettes tarifaires par rapport à la valeur des biens de consommation importés est passée d'environ 4 % à environ 15 %.

  • Les prix à la production intérieure dépassent les prix à l'importation pour la grande majorité des produits et des catégories de produits.

Dans l’ensemble, les coûts supplémentaires liés aux droits de douane ont contribué à +0,1 pp d'inflation supplémentaire des prix à la consommation aux États-Unis entre mars et août 2025.

  • Pour 77% des produits (dont le café, boissons, vêtements, jouets et bijoux), ce sont principalement les consommateurs américains et/ou les exportateurs étrangers qui supportent le coût de la hausse des droits de douane.

  • Pour les 23 % restants des produits ce sont les importateurs américains qui absorbent eux-mêmes les coûts tarifaires (céréales, bonbons et biscuits, produits laitiers), probablement en raison de la forte concurrence intérieure et des consommateurs sensibles aux prix. 

La modération globale des prix a permis au commerce de détail américain d'enregistrer une solide croissance au premier semestre 2025.

  • Les ventes au détail ont affiché une solide croissance de +2,5 % depuis le début de l'année en juillet, en grande partie grâce à des volumes plus élevés qu'à des prix plus élevés.

  • Les secteurs très dépendants des intrants importés (auto, électronique, ameublement, textile) devraient tirer les prix à la hausse. Ils ont jusque-là absorbé une partie des coûts, mais cela ne pourra pas durer.

La rotation des chaînes d'approvisionnement finira par se traduire par une hausse des prix et un ralentissement de la consommation américaine.

  • Les importations américaines en provenance de Chine ont chuté de -19 % depuis le début de l'année, réduisant la part de la Chine dans les importations américaines à environ 9 %, contre 13 % un an plus tôt.

  • Cela ne signifie pas pour autant que les entreprises américaines ont relocalisé leur production. Au lieu de cela, ils se sont tournés vers le Vietnam, l'Inde et la Thaïlande augmentant les volumes en provenance de ces pays de 20 % ou plus.

  • Ces changements montrent que les tarifs ne réduisent pas nécessairement la dépendance à l'égard des sources étrangères, ils la réaffectent simplement et augmentent les coûts en cours de route.


ICYMI

Le gambit zen : Le jeu de patience audacieux de la Banque du Japon.

Le Japon est en proie à la tourmente politique. La coalition PLD–Komeito a subi deux revers majeurs : une perte de la majorité à la Chambre basse (octobre 2024) puis à la Chambre haute (juillet 2025).

  • Le Premier ministre Ishiba a annoncé sa démission début septembre 2025. Une nouvelle élection interne du PLD est fixée au 4 octobre 2025.

  • À la mi-septembre, les favoris pressentis sont Takaichi avec un profil plus conservateur, favorable à davantage de relance budgétaire et Koizumi avec profil plus libéral, réformateur, actuellement ministre de l’Agriculture.

  • Le scénario le plus probable est le maintien d’un gouvernement minoritaire PLD–Komeito. La politique budgétaire aura probablement un biais plus expansionniste que sous Ishiba.

L'économie japonaise devrait ralentir au cours des prochains trimestres, après une croissance prévue en 2025 de +1,3 %. Nous prévoyons une croissance du PIB de +0,6 % en 2026 et de +0,8 % en 2027.

  • L'économie japonaise se porte bien, avec une consommation privée en hausse pendant cinq trimestres consécutifs.

  • Cependant, l'impact de la hausse des droits de douane américains pourrait commencer à se faire sentir, les volumes d’exports vers les États-Unis ayant chuté de près de -14 % en glissement annuel.

La BoJ devrait laisser son taux inchangé, une prochaine décision étant probable en janvier 2026.

  • A terme, la BoJ devrait finir par poursuivre son cycle de hausse des taux. Les indicateurs d'inflation restent supérieurs à son objectif de 2 %. 

  • L'inflation globale a ralenti cette année (de 4 % en janvier à 3 % en juillet) et devrait revenir en dessous de l'objectif de la banque centrale l'année prochaine (1,5 % en 2026).

  • Dans l'ensemble, nous prévoyons que le taux directeur de la Banque du Japon restera à 0,50 % d'ici la fin de 2025 et qu'il augmentera à 1,00 % d'ici la fin de 2026 et à 1,50 % d'ici la fin de 2027.

Récemment les rendements des obligations d'État japonaises ont flambé : +240 pb à 30 ans et +150 pb à 10 ans.

  • Dans un premier temps cette hausse était tirée par la réévaluation du risque d’inflation et du resserrement quantitatif. 

  • Avec 50 % du marché JGB, la BoJ tolère la hausse des rendements pour des objectifs secondaires.

  • Il semblerait que la stratégie soit de soutenir le Yen via des entrées de capitaux sans intervention directe ni usage des réserves de change.

Le rôle du Japon en tant que fournisseur mondial de liquidités et suppresseur de la volatilité mondiale commence à s'inverser. 

  • Pendant des décennies, la politique de contrôle de la courbe des taux (YCC) de la BoJ a positionné le Japon comme une source principale de liquidités bon marché, d'effet de levier et de suppression structurelle de la volatilité mondiale.

  • Si les rendements japonais devaient augmenter de manière désordonnée, une pénurie mondiale de liquidités avec des effondrements majeurs des marchés serait possible. 

  • Nous pensons que la BoJ a les moyens et la crédibilité nécessaires pour empêcher cela, mais la possibilité d'une erreur de politique monétaire est l'un des plus grands risques pour les marchés financiers à l'heure actuelle.   

Bulle ou boom ? Les marchés actions affichent des PER élevés, mais les PEG restent sous contrôle.

Les marchés d’actions mondiaux ont atteint des niveaux record, le marché américain se distinguant par des valorisations particulièrement élevées en comparaison aux indices européens.

  • Le ratio cours sur bénéfices prévisionnel à 12 mois du S&P 500 se situe actuellement autour de 23 (bien au-delà de sa moyenne historique) tandis que le STOXX 600 avoisine les 14.

  • L’écart de valorisation s'explique en partie par des différences dans les prévisions de bénéfices : +15% par an pendant 5 ans attendu pour le S&P 500 contre seulement 10% pour son équivalent européen.

  • Une fois les attentes de croissance prises en compte, les valorisations des actions américaines semblent moins extrêmes. En effet, le ratio cours sur bénéfices/croissance est à 1.4, une valeur compatible avec une croissance durable mais surtout équivalente à celle du STOXX 600.

L’analyse de la hausse générale des actions américaines montre à quel point elle repose sur une poignée d'entreprises technologiques à méga-capitalisation, à savoir les « Magnificent Seven ».

  • Ce sont les entreprises qui dominent le monde de l'IA (NVIDIA, Microsoft, Amazon, etc.) qui déterminent les attentes en matière de revenus et les valorisations du marché. 

  • Les Magnificent Seven ont investi plus de $36 Milliards par entreprise sur les quatre derniers trimestres. A titre de comparaison, les dépenses d'investissement trimestrielles moyennes d'une entreprise du S&P 500 ne sont que d'environ $2 Milliards.

  • Cet argent est investi majoritairement dans l’IA et dans l’infrastructure cloud, dynamisant les fournisseurs de semi-conducteurs, les entreprises d'énergie et celles liées à l’IA.

Cette hausse est finalement portée par des fondamentaux plutôt qu’une spéculation pure, laissant présager un boom au lieu d’une bulle.

  • Les performances sont les plus solides pour les entreprises travaillant sur l’infrastructure IA (semi-conducteurs, équipement, cloud, etc.). Les applications IA (logiciels, productivité, etc.) sont en revanche plus en difficulté 

  • Les valorisations technologiques américaines sont élevées mais pas extrêmes. La peur d’un soudain ralentissement de l’investissement et l’impact que cela aurait sur les secteurs technologiques expliquent cette modération.

  • Cette concentration expose les marchés. Dans ce contexte, le marché américain d'aujourd'hui ressemble moins à une bulle qu'à un boom soutenu par des fondamentaux, bien qu'il soit fragile et fortement dépendant de la durabilité du commerce de l'IA.


Merci à Augustin Bonah pour son aide dans la préparation de cette édition. On vous retrouve la semaine prochaine.

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Par Ludovic Subran