Ludonomics

La newsletter essentielle pour comprendre les actualités qui font bouger les marchés et l'économie par Ludovic Subran, chef économiste de Allianz.

image_author_Ludovic_Subran
Par Ludovic Subran
10 avr. · 3 mn à lire
Partager cet article :

Paie moi si (quand) tu peux

Zoom sur les délais de paiement. Mais aussi dans cette édition : l'économie japonaise en voie devenir une économie "normale", l'écart US/UE, et les derniers chiffres de l'inflation pour mars 2024.

Bonjour, et bienvenue dans Ludonomics, la newsletter sur ce qui fait bouger l’économie mondiale. Je suis Ludovic Subran, chef économiste de l’assureur Allianz. Je vous donne rendez-vous toutes les semaines dans votre boîte mail. Suivez-moi également sur X.


Le Briefing

Une entreprise sur cinq dans le monde paie ses fournisseurs après 90 jours. Après notre zoom il y a quelques semaines sur l’importance de la variation des stocks dans le PIB, on se penche sur le besoin en fonds de roulement (working capital).

RAPPEL • Le BFR mesure le besoin de trésorerie issu du décalage de trésorerie entre recettes et dépenses.

  • Un BFR positif signifie que l’entreprise doit financer ses dépenses via un fonds de roulement (ou du crédit). C’est le cas lorsqu’elle fait face à des dépenses immédiates (ou du moins à plus brève échéance) et à des recettes payées en différé.

  • Plusieurs éléments influencent le BFR : le délai de paiement des fournisseurs, le délai de règlement des clients, le temps ou encore la durée d’écoulement des stocks. 

  • Le BFR est souvent mesuré en jours de chiffres d’affaires. 

BFR AU SOMMET • Le besoin en fonds de roulement (BFR) des entreprises est à son maximum depuis 2008.

  • Le BFR moyen s’établit désormais à 76 jours, en augmentation pour la troisième année consécutive.

L’augmentation du BFR est un phénomène mondial. Le BFR atteint 69 jours en Europe de l’Ouest, 70 en Amérique du Nord, 81 jours en Asie Pacifique. 

En Europe, la hausse du BFR est tirée par des délais de paiements en hausse :

  • Le délai de paiement moyen atteint 59 jours en 2023 (+3 vs 2022), ce qui signifie que les entreprises attendent plus longtemps pour régler leurs fournisseurs.

  • La variation des stocks est également un facteur important, avec le passage du “just in time” au “just in case”.

COUPE SECTORIELLE • L’ensemble des secteurs de l’économie est touché par la hausse du BFR. Il y a cependant des variations importantes, d’un facteur de 1 à 4. 

  • L’hôtellerie/restauration/tourisme a un BFR faible (29 jours) tout comme le secteur des transports (29 jours).

  • Le secteur des produits électroniques (114 jours) ou les équipements mécaniques ont (113 jours) ont un BFR très élevé.

  • Les entreprises du secteur textile, les produits pharmaceutiques, les métaux et les produits chimiques ont un BFR en moyenne supérieur à 90 jours.

  • Les entreprises du B2B sont plus touchées que les entreprises B2C.

PROFITS • Quels facteurs principaux sont à prendre en compte ?

  • Dans des périodes de croissance économique, les entreprises ont tendance à offrir des délais de paiement plus longs. A l’inverse, les délais de paiement se raccourcissent en période de récession.

  • D’autres contraintes financières jouent également un rôle dans les délais de paiement : taux d’intérêt ou facilité d’accès au crédit par exemple. Des coûts de financement moins élevés permettent aux entreprises d’être plus flexibles dans leur gestion de leur cash.

Mais la profitabilité des entreprises demeure le critère le plus important. Les calculs effectués par Allianz montrent que la marge brute est le principal déterminant des délais de paiement offerts par les entreprises. Sur un panel de 2000 entreprises étudiées sur 18 ans en France, Royaume-Uni, Allemagne, Italie et Espagne, on constate que :

  • Une hausse de la marge brute de 1% est associée à une hausse des délais de paiement proposés d’environ 7 jours.

  • Le profitability squeeze qui se profile pour 2024 viendra impacter les délais de paiement.

QUE FAIT L’EUROPE • Il y a actuellement une directive en vigueur (2011/7/UE) sur le sujet, mais qui est de l’avis de tout le monde assez inefficace.  

  • L’UE envisage l’introduction d’une réglement sur les retards de paiement, qui n’est à ce stade qu’une proposition (elle date de l’automne 2023).

  • La Commission européenne estime qu’une faillite sur quatre est “due au fait que les factures ne sont pas payées dans les délais. L'une des causes premières des retards de paiement est l'asymétrie du pouvoir de négociation entre un client important ou plus puissant (débiteur) et un fournisseur de plus petite taille (créancier)”.

  • La proposition initiale de la Commission européenne fixerait à 30 jours le délai de paiement maximum entre entreprises. Un délai de 60 jours serait possible à condition qu’il ne constitue pas un abus manifeste à l’égard du créancier. 


In Case You Missed It

JAPON • C’est sans nul doute l’un des évènements économiques de ce début d’année 2024. Le Japon est sorti en mars de l’ère des taux d’intérêts négatifs. Cas à part dans l’économie mondiale, le Japon serait en passe de devenir (ou de redevenir) une économie « normale » selon Kana Inagaki et Leo Lewis pour le Financial Times.

  • Le Japon restera dans les annales des livres d’histoire économique pour ses décennies marquées par le spectre de la déflation ainsi que des des salaires réels stagnants — restés quasiment au même niveau pendant 20 ans.  

  • L’inflation a repris depuis la pandémie de Covid-19 (+2,8% en février 2024 vs février 2023) et les salaires vont connaître cette année leur plus forte hausse depuis plus de 30 ans.

  • Des voix s’élèvent au Japon pour dénoncer les risques de hausses de taux d’intérêt trop brusques. 

BOURSE • Les entreprises américaines ont fini l’année 2023 sur une bonne note, ce qui laisse présager des performances solides pour 2024/2025. A l’inverse, le ciel semble plus sombre pour les entreprises européennes.

  • Les entreprises cotées européennes enregistrent leur troisième trimestre de déclin de chiffres d’affaires. Certains secteurs – ceux affectés par la hausse du prix de l’énergie surtout – tirent les chiffres à la baisse.

  • Point intéressant : la divergence dans les résultats financiers ne se traduit pas par une divergence des cours boursiers.  Cela signifie que les marchés voient de bons fondamentaux des deux côtés de l’Atlantique. A noter également que les cours boursiers ont été assez peu perturbés par les annonces de politique monétaire.

  • Conclusion : les marchés sont actuellement peu impactés par des variables de court terme et tirés par les fondamentaux. 

INFLATION • L’inflation est tombée à 2,4% en mars (par rapport à mars 2023) dans la zone euro. Mais l’inflation dans les services devrait demeurer plus élevée.

  • L’inflation était à 2.6% en février (en glissement annuel).

  • L’inflation core est tombée de 3,1% en février à 2,9% en mars 2024. Elle est à son plus bas niveau depuis le début 2022.

  • L’inflation dans le secteur des services devrait demeurer un contributeur important à l’inflation dans les prochains mois/années. Les services représentent environ 50% du panier des consommateurs utilisé pour mesurer l’inflation.

  • Les salaires constituent une part importante des prix dans les services. Ceux-ci devraient continuer à augmenter.

L’inflation dans les services devrait continuer de compter pour les deux-tiers de l’inflation en France :

  • L’inflation est descendue plus bas que prévu en mars 2023 (2,3% vs 2,3% en février, alors que les prévisions étaient plutôt à 2,5%).

  • L’inflation dans les services reste à 3% en mars. En Allemagne, l’inflation dans les services s’établit à 3,7% en mars.


Nos lectures de la semaine

  • Nouveau pavé dans la marre dans la guerre de subventions pour la domination du secteur des semiconducteurs. Les Etats-Unis font un chèque de $11,6 Mds (subventions et prêts) au taiwanais TSMC pour la construction d’usines en Arizona. A lire ici chez Bloomberg

  • Ce graphique partagé par Shahin Vallée sur X montre la fonte rapide du bilan de la Banque centrale européenne. 

  • Une Europe à deux vitesses est en train d’émerger. Ironie du sort, c’est l’Allemagne à la traîne qui contraste avec les bonnes performances des PIGS. C’est à lire dans le Financial Times.  

...