Le pétrole afflue, le schiste s'essouffle

Mais aussi dans cette édition : l'économie allemande et la Chine, le dollar taiwanais

Ludonomics
4 min ⋅ 14/05/2025

Bonjour, et bienvenue dans Ludonomics, la newsletter sur ce qui fait bouger l’économie mondiale. Je suis Ludovic Subran, chef économiste et CIO de l’assureur Allianz. Je vous donne rendez-vous toutes les semaines dans votre boîte mail. Suivez-moi également sur X.


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Contexte énergétique tendu : le pétrole afflue, le schiste s’essouffle, l’Europe anticipe

Le marché mondial du pétrole aborde 2025 sous pression.

La demande faiblit, l’activité économique ralentit, et les prix s’en ressentent : tombés sous les 65 dollars le baril, les cours retrouvent des niveaux inédits depuis 2021, plombés par une guerre commerciale grandissante.

Dans ce contexte incertain, l’Arabie saoudite surprend en accélérant le démantèlement des quotas de production de l’OPEP, relançant une stratégie offensive de conquête de parts de marché.

Cette manœuvre vise directement les producteurs américains de pétrole de schiste, qui peinent à rester compétitifs à bas prix.

  • La production américaine reste historiquement élevée (13,7 millions de barils/jour), mais son rythme de croissance ralentit.

  • L’EIA a abaissé ses prévisions pour 2025 à +300 000 b/j (contre +400 000 précédemment), signalant un essoufflement du secteur. En effet, plus des deux tiers de la production nationale provient du schiste, très sensible aux variations de prix.

L’Europe, elle, profite d’un moment de calme relatif sur le front du gaz naturel. Après deux années de fortes tensions et une envolée des prix, le marché connaît une détente bienvenue.

  • Si l’hiver 2024/25 a été plus froid et moins venteux que le précédent, obligeant à puiser plus tôt dans les réserves, la fin de la saison froide a vu les prix chuter de plus de 25 % par rapport au pic de février.

  • Les stocks de gaz européens sont passés de près de 100 % à 34 % de leur capacité, le niveau post-hiver le plus bas depuis 2022.

Ce recul des prix est dû à la baisse saisonnière de la demande (chauffage, consommation industrielle) et à un regain de production renouvelable au printemps.

En parallèle, le ralentissement économique en Europe, aggravé par les incertitudes commerciales avec les États-Unis, limite la demande dans les secteurs industriels lourds (chimie, sidérurgie, engrais), notamment en Allemagne.

Résultat : les contrats à terme pour l’été s’échangent autour de 40 EUR/MWh.

  • Ces prix, certes élevés par rapport aux standards pré-pandémiques, offrent une fenêtre stratégique à l’UE pour reconstituer ses réserves.

  • L’objectif affiché : atteindre 90 % de remplissage d’ici au 1er novembre. Une tâche ambitieuse qui nécessitera des importations massives dans les mois à venir.

Entre pressions géopolitiques et arbitrages économiques, les dynamiques énergétiques mondiales divergent.

Tandis que Riyad force le jeu sur le pétrole au détriment du schiste américain, l’Europe tente de capitaliser sur une accalmie gazière pour sécuriser l’hiver prochain. Mais les tensions commerciales et les incertitudes sur la demande pourraient rapidement rebattre les cartes.


ICYMI

Made in China, ressenti en Allemagne : la guerre commerciale fragilise l’industrie allemande

Déjà sous pression, le modèle industriel exportateur allemand subit un nouveau choc avec l’intensification de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine.

  • La concurrence chinoise, les coûts énergétiques élevés et un contexte commercial mondial incertain fragilisent davantage la première économie européenne.

  • Les craintes de désindustrialisation s’amplifient alors que la production industrielle reste morose.

  • Pourtant, la valeur ajoutée industrielle se maintient : un signe que, malgré le ralentissement, les entreprises industrielles réussissent encore à dégager des profits sur leurs activités de base.

Pour rester compétitives, les entreprises allemandes misent sur la montée en gamme : technologies de pointe, services intégrés, et R&D.

  • Mais cela ne suffit pas à enrayer la perte de parts de marché, y compris en Europe et sur le marché domestique.

  • Selon les projections, l’Allemagne pourrait absorber jusqu’à 14 % des exportations chinoises détournées des États-Unis, soit une hausse potentielle de +2,5 % de ses importations depuis la Chine d’ici 2028.

Les secteurs les plus exposés – équipements industriels, équipements électriques, textile, automobile – pourraient enregistrer jusqu’à 10,4 milliards de dollars d’importations supplémentaires.

  • L’impact sur l’emploi industriel est notable : 500 000 postes exposés, avec 17 000 à 25 000 emplois menacés à court terme, soit 0,2 à 0,3 % du total manufacturier.

  • Sur trois ans, le PIB allemand pourrait reculer de -0,26 point, majoritairement en raison de la perte de compétitivité intérieure.

L’effet domino touche aussi les échanges intra-européens : les autres pays de l’UE capteraient près de 20 % des exportations chinoises réorientées, réduisant les exportations allemandes vers ses voisins de -10,5 milliards de dollars supplémentaires.

Taïwan : hausse du dollar, prélude à la guerre des devises ?

Le dollar taïwanais (TWD) a connu un bond historique de +6 % en deux jours face au dollar américain, atteignant son plus haut niveau depuis trois ans à 29,65 TWD/USD

  • Cette envolée spectaculaire, alimentée par des rumeurs de pressions américaines en faveur d’un renforcement du TWD dans le cadre de futures négociations commerciales, a été rapidement démentie par la banque centrale taïwanaise.

  • Néanmoins, l’ampleur du mouvement révèle un déséquilibre latent sur le marché des changes, amplifié par les couvertures de change massives mises en place par les entreprises et assureurs taïwanais pour se protéger contre le risque de fluctuation de leurs actifs en devises étrangères.

Taïwan, cinquième créancier mondial en valeur absolue, abrite l’un des plus vastes secteurs d’assurance-vie au monde. En raison de taux domestiques bas, ces acteurs ont investi près de 300 milliards USD à l’étranger, dont environ 100 milliards sans couverture, exposant le système financier aux chocs de volatilité.

Conséquence directe :

  • Les exportateurs locaux pourraient perdre jusqu’à 8 milliards USD (0,8 % du PIB) si le TWD reste fort.

  • Le choc est d’autant plus marqué que Taïwan est aussi confronté à une vague de hausses tarifaires américaines dans le cadre du “Liberation Day”.

  • L’effet cumulé porterait les droits de douane implicites à 14 points de pourcentage, contre 3pps avant l’appréciation.

D’autres marchés émergents en Asie (Corée du Sud, Thaïlande, Malaisie) présentent également un excédent commercial et une position extérieure nette positive, les exposant à des pressions similaires.

Toutefois, Taïwan reste le plus vulnérable. La Chine, malgré ses tensions monétaires avec les États-Unis, bénéficie d’un contrôle étroit sur ses flux de capitaux, limitant les mouvements du yuan.


Merci à Perrine Levin pour son aide dans la préparation de cette édition. On vous retrouve la semaine prochaine.


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Par Ludovic Subran